Avant de lire cet article, assurez-vous d'avoir lu l'épisode précédent !

Salut à toi, lecteur toujours fidèle !
Salut à toi, lecteur occasionnel !
Salut à toi, lecteur qu'on dépucelle !
Salut à toi, quatrième rime en [Ɛl](1) !

Lors du cours précédent, vous avez appris à ne plus hoqueter d'horreur à la vue d'une verrue purulente et poilue ostensiblement proéminente sur le front de votre camarade de classe et à vous attirer sa sympathie en utilisant les termes adéquats pour en souligner la singularité et la signification.

Aujourd'hui, nous allons apprendre ensemble à faire du vent. Mais, attention, avec classe et distinction.

Ce cours s'adresse bien entendu aux hommes et aux femmes, mais il est à noter que son but est différent pour chaque sexe. Au travers des quelques paragraphes qui vont suivre, chacun d'entre vous en retirera un savoir inutile et futile, donc vital. Vous, Mesdames, apprendrez à exprimer vos intentions sans avoir recours à la parole(2), tandis que vous, Messieurs, pourrez à loisir déceler les intentions de l'objet de votre convoitise grâce à des signes parfaitement codifiés(3) et éviter ainsi les tant redoutées baffes dans la gueules pour avoir tripoté les fesses d'une rencontre de bar dont le sourcil secoué de tremblotements semblait vous dire « Je ne suis pas insensible à tes charmes », bien qu'en réalité elle essayer de subtilement vous indiquer que la seule raison pour laquelle vous n'aviez pas pris son verre de Cosmopolitan dans les yeux était le respect qu'elle avait du travail des gens de ménage(4).

Afin d'apporter à cet article un semblant d'intérêt, permettez que je vous serve en lieu d'une liste austère et froide des significations mouvementatoires de l'éventail une petite historiette les contenant tous, qui aura le double but de vous divertir – tout du moins, l'espérè-je – et de vous faire réfléchir.

Adonc, en l'an de grâce 1152, par un mois de juin somme toute assez banal, Berthe Lamarzelinette se promenait gaiement, malgré son arthrite du genou, sur les chemins verdoyants de la campagne solognote. Au détour d'un bosquet, elle aperçut une petite grenouille fièrement assise sur une pierre, le regard con des grenouilles assises sur une pierre, tranquillement occupée à regarder Dieu sait quoi.
Elle était d'un jaune éclatant tels les feux du soleil et Berthe, férue d'histoires de fées et de princes charmants, pensa que ce petit éclat de l'astre du jour pouvait en réalité être une bonne fée métamorphosée par une vilaine sorcière. En bonne péquenaude campagnarde, elle se mit en devoir de tester sa théorie et s'approcha du ranidé qui ne se sauva point, ce qui indiquait à l'évidence sa nature mystérieuse ; car chacun sait qu'une grenouille bondit en faisant « croâ » dès qu'on s'en approche un peu trop.
Convaincue qu'elle était en présence d'un animal fabuleux enjoint à lui accorder sa bienveillance, Berthe fit comme n'importe quelle idiote qui pense être devant une fée zoomorphe et mettant ses mains en terre, elle se pencha jusqu'à baiser le dos du batracien. Manque de bol, c'était une phyllobate jaune et Berthe mourut dans d'atroces souffrances à cause du poison sécrété par cette salope de grenouille. Berthe étant laide comme un cul de bonobo hémorroïdaire, elle n'eut jamais d'enfant et toute sa famille était morte du choléra deux ans plus tôt. Elle ou son hypothétique descendance n'entrent donc pas dans le cadre de notre histoire.

Il fait beau ce 17 mai 1756 au château du duc de Bordeaux et Jean-Constant de la Fifrenière compte bien profiter de cette journée magnifique pour aller courtiser Victoire de la Hampe de Larguillion, jeune fille au nez mutin et aux nichons époustouflants, dont il aimerait voir le corset sur le sol de sa chambre.

Ayant bien potassé ses cours sur le langage de l'éventail, c'est plein de morgue et de confiance qu'il s'avance sous la tonnelle où Victoire essayait désespérément de touiller son thé avec la queue du chat.

Jean-Constant : Bonjour, belle Victoire. Permettez que je vous fasse un compliment : cette robe bouffante vous va à ravir et masque avec distinction vos éventuels bourrelets disgracieux.
Victoire : [ouvre et ferme son éventail. ]
Jean-Constant : Mais non, voyons, je ne suis pas cruel. Ce n'était qu'une boutade. Je ne doute pas un seul instant de la perfection de vos cuisses.
Victoire : [tient son éventail dans la main droite. ]
Jean-Constant : Entreprenant, vous dites ? Et cela vous dérange-t-il ?
Victoire : [rit, puis touche l'extrémité de son éventail du doigt. ]
Jean-Constant : Me parler vous voulez ? Par Saint Yoda, avec joie !
Victoire : [tient son éventail dans la main droite, face au visage. ]
Jean-Constant : Je vous suis, belle Victoire.

Enfin seuls au bord de la mare au fond du parc, Victoire se tourne vers Jean-Constant en tenant son éventail dans la main gauche, face au visage.

Jean-Constant : Euh… oui, je sais que vous désirez un entretien, vous venez de me le dire.
Victoire : [tient toujours l'éventail dans sa main gauche, puis l'ouvre. ]
Jean-Constant : Venir vous parler ? Mais c'est ce que je fais depuis une heure !
Victoire : [fait glisser son éventail sur son front, puis dans sa main, l'ouvre et le ferme. ]
Jean-Constant : Pas trop vite. Attendez… gnagnagna front main ouvert fermé… J'ai changé, vous me haïssez, je suis cruel. Eh beh.
Victoire : [glissade devant les yeux. ]
Jean-Constant : J'espère bien que vous êtes désolée ! Est-ce ma faute si vous radotez de l'éventail ?
Victoire : [outrée, prend soudain une grande inspiration et, telle une danseuse de ballet cocaïnomane, exécute avec grâce et vitesse les passes suivantes : l'éventail tournoie dans la main gauche, glisse sur sa joue et son front, est présenté fermé, l'évente lentement, puis rapidement, tournoie dans la main droite, pend négligemment, repose sur sa joue droite, puis sur sa joue gauche, sur ses lèvres et fini ouvert devant la trogne rigolarde de Victoire. ]
Jean-Constant : Alors, dans l'ordre : Nous sommes surveillés, vous m'aimez, vous voulez savoir si je vous aime, mais vous êtes mariée, ah non juste fiancée, ce qui fait que vous aimez quelqu'un d'autre, mais nous resterons amis, oui, non, vous m'ordonnez de vous embrasser et finalement je dois vous attendre. Bien, bien, bien. Autre chose ?
Victoire : [hilare, exécute un dernier geste de son accessoire ventilateur. Elle le place, ouvert, derrière sa tête, à la manière des Indiens d'Amérique, puis entame la danse du dindon en gloussant et courant vers le plan d'eau adjacent. ]
Jean-Constant : Très bien, Victoire, je ne vous oublierai pas. Surtout après vous avoir vu faire le dindon et plonger dans cette mare dont tout le monde sait qu'elle n'a aucune profondeur. Et c'est avec un grand poids sur le cœur que j'observe votre cervelle négligemment colorer la vase et les têtards, prouvant ainsi que même les choses les moins utiles peuvent embellir la nature.

On est bien peu de choses. C'est sur ce lieu commun navrant que Jean-Constant s'en retourna à la fête pour voir si la Duchesse du Villion est vraiment aussi peu farouche qu'on le dit.

Alors, ça vous a plu ? Non ? Bon.
Allez, il est l'heure de conclure. Concluons donc !

À moins que vous ne souhaitiez une autre histoire… alors, c'est l'histoire d'une put… Non ? On ne peut pas dire ça. Ah. Bon. Bon, bon, bon…

Fait pas chaud, ici.
Hm…

Enfin, bref, ainsi armés – vous, Mesdames, d'un éventail et vous, Messieurs, du savoir nécessaire à en éviter les coups – vous pourrez à loisir relancer une mode désuète, draguer avec classe, détecter les tarées, ou vous rendre compte que « Les Liaisons Dangereuses », c'est tout pourri, comme film(5).


  1. (1)

    – NON ! NON ! NON !
    – Mais, qu'est-ce que tu fabriques ?
    – Je participe à une manif' contre l'affreux copieur-colleur.
    – Tout seul ?
    – Évidemment. Je ne sais plus qui disait Quand on est plus de quatre on est une bande de cons. A fortiori, moins de deux, c'est l'idéal. Certainement un trompettiste.
    – Pas un con, donc. N'empêche, à force de gueuler, tu dois avoir le gosier desséché, non ?
    – J'avoue avoir la luette aride.
    – Un p'tit Porto ?
    – Ce n'est pas de refus.

  2. (2) Atout non négligeable si l'on en croit la sagesse populaire. Qui ne se trompe jamais.
  3. (3) Honteusement remplacés de nos jours par de soi-disant « signaux » féminins, dans lesquels on serait bien en peine de trouver un semblant de cohérence, dans le but vil et chafouin de faire une apologie de l'indolence dragouillatoire et réfléchissionnelle actuelle.
  4. (4) Ou elle avait un cil dans l'œil, allez savoir.
  5. (5) Quand la Marquise de Merteuil s'évente rapidement en réponse à Valmont qui lui propose une part de cassoulet, c'est du n'importe quoi ! Non, je n'ai pas vu le film !