Choderlos de Laclos, à défaut de la carrière militaire dont il a rêvé, décida de faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit, et qui retentît encore sur la terre quand j'y aurais passé. Pari risqué et osé, mais surtout une réussite totale. Son seul roman épistolaire, Les Liaisons dangereuses, encore étudié dans nos salles de classe, appartient désormais au patrimoine littéraire mondial.

Le duo libertin :  la Marquise de Merteuil (Glenn Close) et le Vicomte de Valmont (John Malkovich) dans l'adaptation de S. Frears

L'œuvre connut rapidement un succès de scandale au XVIIIe siècle. En effet, le sujet n'est autre que les sulfureuses relations (pas vraiment chrétiennes) de l'aristocratie. Plus que les scènes de sexe (ce n'est pas un roman pornographique non plus), c'est la critique de l'hypocrisie sociale de l'époque qui choque. Cette satire acerbe passe par le personnage de la Marquise de Merteuil : libertine, cultivée, manipulatrice, raffinée, hypocrite, démiurge(1). À elle seule, elle place devant les yeux du lecteur le problème de la condition féminine de l'époque, de l'éducation, du rapport au corps et de l'amour. C'est elle qui tisse sa toile à travers l'ouvrage, lance les intrigues et les complots pour se venger d'un ancien amant, même si sa vengeance doit passer par la perversion de la future épouse de l'homme qui l'a délaissée. Elle est aidée dans cette tâche par le Vicomte de Valmont, libertin et autre ex-amant de son état. En outre, il entreprend de son côté sa propre quête de perversion d'une femme croyante et épanouie : la présidente de Tourvel. Les personnages se croisent, tissent et dénouent leurs liens aux cours des 175 lettres, flirtant avec les notions de bien et de mal.

Mais qu'est-ce qui fait la particularité de cette œuvre ? C'est l'emploi avec mæstria de la forme de la lettre qui est captivant. N'ayons pas peur des mots, lire ce livre c'est devenir libertin(2). Chaque lettre, chaque mot est calculé et agencé pour donner au lecteur la sensation de puissance et la satisfaction liée à la connaissance d'avoir accès à l'intimité de chaque personnage. Tel Dieu, le lecteur sait tout, voit tout et admire l'agacement parfait et diabolique des plans des libertins. Cet inavouable plaisir est permis par la variété des styles, un pour chaque personnage, pour donner un vécu à chaque être de papier, donner cette illusion de réalité. Un travail d'auteur titanesque qui explique les quatre années nécessaires à l'écriture de ce livre.

L'impact de l'œuvre est non négligeable : 5 films, 3 réécritures, 2 adaptations télévisuelles, 3 théâtrales et 3 musicales. Laclos peut reposer tranquille, la terre n'a pas fini de parler de son ouvrage.


  1. (1) Se dit en littérature d'un personnage qui a tendance à se prendre pour Dieu.
  2. (2) Attention, j'entends par là le libertin du XVIIe siècle, le libre-penseur, après si vous êtes libre de mœurs comme un libertin du XVIIIe siècle, cela ne regarde que vous, cher lecteur.