Depuis près de 100 ans, une route de notre pays défraye la chronique. Longue, droite, traversant de grands champs inhabités, elle est régulièrement le théâtre d'accidents dramatiques. Sur cette route sagement bordée de platanes bien alignés, nombre d'automobilistes ont subitement perdu le contrôle de leur véhicule et sont venus s'écraser contre un arbre.
Selon les gens du coin, la route est maudite. Au début de ce siècle, des Romanichels chassés des ruines du château voisin de Lourmarin auraient jeté le mauvais sort sur la bâtisse et son domaine. Depuis, des dizaines de personnes ont trouvé la mort en passant à proximité du château, sur la fameuse route.
Pierre Michelin, fondateur de l'enseigne bien connue, y décéda dans un accident inexpliqué avec quatre autres passagers en 1937. Jean-Luc Michelin le suivra dans la tombe en 1949, sur la même route, lui aussi au volant de sa voiture, en compagnie de ses deux filles. Le 4 janvier 1960, c'est Albert Camus qui connaîtra le triste sort des automobilistes de la Route Nationale 7.

Jeunes conducteurs, vieux routiers, mères de famille de retour de pique-nique, automobilistes jeunes ou vieux, sobres ou éméchés, étrangers à la région ou résidant dans le quartier, les victimes ne semblent pas présenter de points communs. Les accidents se produisent en général vers la fin de l'après-midi, un jour quelconque de la semaine. Aucun meurtre ou acte criminel n'est à déplorer dans les environs, depuis plusieurs années. La météo ne semble pas en cause, et la route est régulièrement entretenue, excluant l'hypothèse d'ornières ou d'amas de feuilles glissantes qui auraient pu perturber la bonne marche du véhicule.
Mais quelle mouche a donc piqué les malheureuses victimes ? Le mauvais sort plane-t-il toujours au-dessus des têtes ? Il faudra attendre 1970 pour qu'un scientifique se penche sur la question et résolve « L'énigme de la route tueuse ».

Marcel Lapipe est un médecin physiologiste, lauréat de l'Académie de Médecine. Intrigué par la mystérieuse « route de la mort », il décide de se rendre sur les lieux pour examiner les environs.
La première chose qu'il remarque en arrivant est la monotonie du paysage ; pas d'animaux dignes d'intérêt qui pourraient gambader ou voleter dans les champs voisins, pas de bosquets, pas de virages, et bien entendu, pas le moindre panneau de signalisation pour éveiller l'attention. Le long de la route, 66 platanes se tiennent au garde-à-vous, raides et muets comme des pierres tombales. Leurs ombres s'allongent sur la route, striant le bitume de grandes raies noires. Alors qu'il chemine au bord de la route, le jour se fait subitement dans l'esprit de Marcel Lapipe : l'alternance régulière de ces zones d'ombre et de lumière ne serait-elle pas la cause de ces innombrables accidents ? N'agirait-elle pas sur l'esprit comme ces éclairages stroboscopiques qui modifient l'état de conscience ?

Le scientifique attend la fin de l'après-midi, et calcule la vitesse moyenne des automobiles passant sur la nationale. Un rapide calcul vient confirmer ses doutes : lorsqu'une voiture roule à 120km/h sur la route tueuse, en fin de journée, la rétine du conducteur est alternativement plongée dans l'obscurité et dans les feux du soleil couchant environ 70 fois pendant 10s. Cet éclairage alternatif très contrasté provoque chez certaines personnes sujettes à l'épilepsie une crise de convulsions. Le conducteur en crise perd le contrôle du véhicule, qui vient finir sa course dans le platane le plus proche. Ainsi, les Romanichels de Lourmarin n'y seraient pour rien…