1976, le camp communiste vient de l'emporter au Vietnam et se trouve donc au sommet de sa puissance mais également, d'un point de vue américain, de sa dangerosité. Toute information le salissant serait du pain béni. Le dissident russe exilé Jaures Medvedev, par ailleurs biologiste, en apporte justement une de poids ! Dix-neuf ans plus tôt, une catastrophe nucléaire aurait fait évacuer une vaste région près de Kychtym, province de Tcheliabinsk, sur le versant oriental de l'Oural.

Il n'y fait d'abord qu'une allusion dans un article, persuadé que la chose est connue. En réalité elle ne l'est pas et on l'accuse d'affabuler : John Hill, directeur de l'UKAEA(1) parle de « science-fiction ». N'ayant que peu de renseignements au départ, il va se livrer à un travail de fourmi pour reconstituer les faits. Il épluche alors toutes les études scientifiques – des dizaines ! – publiées en URSS traitant des effets d'une contamination radioactive sur le vivant dans la période considérée(2). Bizarrement, la censure étant passée par là, ces études ne disent pas où et comment les échantillons ont été obtenus.
Mais les dizaines d'espèces animales et végétales impliquées aident à situer le lieu avec une bonne précision, tandis que les éléments radioactifs signalés permettent, dans une certaine mesure, de déterminer quel type de catastrophe : une explosion. Il ne s'agit ni d'une bombe ni d'un réacteur mais d'un entrepôt de déchets, entrepôt lié – on le savait par ailleurs – à la production de plutonium pour les bombes. Cette explosion a ainsi entrainé la dispersion massive de produits éminemment dangereux.

Difficile de préciser plus avant la nature de cette explosion : nucléaire, réaction en chaine spontanée, chimique (par l'accumulation de nitrates divers en surchauffe) ou thermique (à cause d'un refroidissement insuffisant – ou inexistant – aboutissant à la formation d'une poche de vapeur en surpression)(3) ? Medvedev avait d'abord parlé, un peu imprudemment, d'une « surchauffe due à des réactions nucléaires se développant dans un stockage souterrain de déchets nucléaires ». Le résultat est désormais bien connu : 800 kilomètres carrés interdits (plus de cent le sont encore de nos jours) et de nombreux villages rasés. Les niveaux de contaminations dépassaient, à distance égale, ceux qui allaient être constatés à Tchernobyl !

En 1979, toujours dans le même contexte géopolitique de guerre froide, Medvedev publie les résultats de son enquête. Au même moment, un groupe de spécialistes d'Oak Ridge(4) publie une étude sur le même événement, se basant également sur le rapport d'un témoin passé à l'Ouest, Lev Tumerman, qui confirme qu'il y a bien une vaste zone interdite suite à une pollution nucléaire. Vérité enfin reconnue ? Non, car un autre centre de recherche américain, celui de Los Alamos, va s'inscrire en faux de façon très étrange.
On ne peut plus nier qu'il y a eu pollution radioactive à grande échelle, mais on l'attribue à des essais soviétiques de bombes H, à 2 000 kilomètres de Kychtym, dans le Grand Nord. Ces allégations impliquent que les vents auraient bizarrement concentré les retombées en un même endroit. La ficelle est grosse et le groupe d'Oak Ridge ne se prive pas d'enfoncer le clou : ces explosions auraient contaminé précisément le secteur où on extrayait le plutonium ayant servi à produire les bombes. À Los Alamos, on produira alors une autre version : persistant à exclure une explosion liée au stockage de déchets (contre toute évidence), on parlera d'une pollution chronique – supposant un confinement déficient.

Même s'il ne pouvait imposer totalement son point de vue, il existait donc un groupe de pression aux moyens conséquents, déterminé à laisser dans l'ombre toute notion de risque lié au stockage de déchets nucléaires.
La chute du communisme allait entraîner, en 1989, la confirmation d'une explosion dans cet entrepôt de Kychtym.


  1. (1) Le CEA anglais.
  2. (2) Cette période débute en 1964, quand une partie du problème avait été révélée.
  3. (3) Toutes ces possibilités pouvant d'ailleurs se combiner
  4. (4) Un centre de recherche concerné lui aussi par la question des déchets nucléaires.