Aujourd'hui, je souhaiterais vous parler d'un nombre très particulier. Non, il ne s'agit pas de \( \pi \), ni de \( \phi \), mais de \( \Omega \). Alors évidemment, si vous ne savez pas ce qu'est \( \Omega\), vous n'êtes pas plus avancé. Et si je vous dit que ce nombre s'appelle aussi « nombre Omega de Solovay », ça ne vous aidera pas plus. Peut être souhaitez-vous connaître sa valeur ? Pas de souci. \( \Omega \) vaut zéro virgule quelque chose. Ça ne vous aide pas plus ? Dommage, parce que je ne peux pas vous donner de valeur plus précise. En effet, \( \Omega\) possède une propriété très particulière : on a prouvé qu'on ne peut pas calculer la moindre de ses décimales – en fait, c'est ainsi qu'on l'a construit.
Autrement dit, \(\Omega\) est défini comme étant un nombre que l'on ne pourra jamais connaître. Étrange ? Et pourtant, c'est possible.

Pour comprendre ce tour de passe-passe mathématique, commençons par le commencement. Qu'est-ce qu'un nombre que l'on sait calculer ? C'est un nombre pour lequel il existe un algorithme permettant de calculer ses décimales. Ainsi, \(\frac{1}{2}\) est calculable, \(\pi\) est calculable ; \(\sqrt{2}\) est calculable : avec un peu de patience et de calcul, on peut en déterminer toutes les décimales. Par exemple, \( \pi \approx 3.1459726\dots \) ; \(\sqrt2 \approx 1.41421\dots\), etc.

Sauf que des algorithmes, il n'y en a pas tant que ça. Il y en a une infinité, mais une infinité dénombrable(1). Le problème, c'est que des nombres, il y en a une infinité indénombrable, c'est-à-dire beaucoup plus(2). Par conséquent, il existe des nombres pour lesquels on ne pourra jamais calculer toutes les décimales !

Hommage du mathématicien Wolfram aux nombres de Chaitin.
Hommage du mathématicien Wolfram aux nombres de Chaitin.

Oui, mais. La plupart de ces nombres n'ont que quelques décimales incalculables, pas plus. Et puis, comment définir clairement un de ces nombres ? Le mathématicien Nahal Chaitin, en 1975, s'est appuyé sur certaines propriétés des algorithmes(3) pour générer toute une famille de nombres, appelés les nombres Oméga de Chaitin, qui ne possèdent qu'un nombre fini de décimales calculables.

Vous me direz qu'on n'y est pas encore. C'est à cet instant (enfin, 25 ans plus tard) qu'arrive Solovay, qui pousse encore plus loin le concept des nombres de Chaitin, pour concevoir toute une nouvelle série de nombres, les nombres Oméga de Solovay, qui sont mathématiquement tous très bien définis, et qui ont comme principale propriété d'être complètement incalculables(4). Ouf, nous y voilà enfin ! Et en plus, on en a trouvé une infinité, si ça c'est pas la classe.

Mais alors, à quoi ça sert ? De par leur construction, on peut prouver que quiconque connaissant les décimales d'un des nombres de Chaitin(5) est en mesure de répondre à n'importe quel problème mathématique. Autrement dit, les nombres oméga contiennent la solution de toutes les questions mathématiques ! Mais comme on ne peut pas calculer ces fameux nombres, ça ne nous mène pas loin. La question reste donc : à quoi peuvent-ils servir ? Eh, bien, comme le disent si souvent les livres de mathématiques, la réponse à cette question sera laissée à titre d'exercice au lecteur(6).


  1. (1) Démonstration rapide pour les matheux : un algorithme, c'est une machine de Turing, qui est elle-même un produit cartésien d'ensembles dénombrables d'états et d'instructions, donc il n'y a qu'une quantité dénombrable d'algorithmes, CQFD.
  2. (2) Ce serait un peu compliqué à expliquer, mais dites-vous qu'il existe des infinis plus grands que d'autres, aussi bizarre que ça puisse paraître.
  3. (3) Plus précisément, sur le problème de l'arrêt qui dit qu'il n'existe pas de machine permettant de déterminer, c'est à dire de calculer, quel algorithme va s'arrêter ou pas. On se rapproche donc beaucoup de la notion de nombre incalculable.
  4. (4) En fait, comme ces nombres sont des probabilités, on peut toutefois connaître leur partie entière, 0. Mais on n'en connaîtra jamais plus !
  5. (5) Ou d'un nombre de Solovay, car ces derniers ne sont que des nombres de Chaitin particuliers.
  6. (6) Mais on pourra toujours retenir qu'ils servent à faire un omnilogisme !