Nous sommes aux environs de Paris. Dans une cave maintenue à température constante par un impressionnant réseau de capteurs, verrouillée par trois cloches de verres scellées par trois serrures différentes (dont les clés sont possédées par trois personnes distinctes), se trouve le kilogramme, un cylindre de métal en alliage de platine et d'iridium.

Le kilogramme offert au Danemark

Crée en 1795, le gramme a une histoire des plus tumultueuses.
Comme plusieurs unités, on le doit à la révolution Française et à sa volonté de standardisation : le gramme sera donc la masse d'un centimètre cube d'eau à la température de la glace fondante. Malheureusement, il serait malaisé de créer un étalon liquide, qui serait peu pratique et extrêmement instable. Comme le commerce implique des objets souvent plus lourds que le gramme, on décide donc de faire un étalon provisoire métallique pesant autant que mille grammes – un kilogramme.

Il ne faut que quatre ans pour que la définition change : les chimistes découvrent alors que l'eau a une densité plus « stable » à 4 ℃ qu'à 0 ℃, et on choisit donc de se baser sur l'eau à 4 degrés celsius (soit une différence de poids égale à 99,926 5%). On construit donc un nouvel artefact, aussi précis que possible pour l'époque, qui prit le nom de « Kilogramme des Archives » et qui devint le kilogramme.

Il faut attendre 90 ans (1889) pour que le standard change à nouveau. On reconstruit un objet, dans un alliage de platine et d'iridium pour améliorer la stabilité chimique et physique du cylindre. Cet étalon là est nommé le grand K ; il fait exactement le même poids que le Kilogramme des Archives. C'est cet artefact qui est stocké à Paris, avec six autres qui servent de comparaisons, tandis que d'autres sont distribués à plusieurs nations pour servir de références (ces étalons sont comparés une fois tous les 50 ans avec le grand K).

Afin de raccourcir l'histoire, on ajoutera juste que même si l'IPK (le nom officiel du grand K) change de masse (environ 2µg/an), l'erreur sur sa mesure est de 0 : l'IPK est le kilogramme ; si l'IPK varie, le kilogramme varie. D'où l'importance d'avoir un étalon fiable !

En plus de cette histoire tumultueuse, le kilogramme cumule les exceptions :

  • Il est la seule des sept unités du système international à être encore définie à l'aide d'un artefact (toutes les autres sont définies à partir de constantes naturelles qui ne dépendent pas du lieu et sont donc reproductibles) ;
  • Il est aussi la seule unité SI incluant un préfixe multiplicateur (kilo-). Pour l'anecdote, avant la révolution française, l'unité de poids était le « grave » qui valait un kilogramme : cependant, on l'a redéfini. En effet, le terme « grave » (qui venait à l'origine de gravité) était politiquement incorrect car phonétiquement proche du mot « Graf », titre aristocratique germain équivalent au comte français. Une analogie inadmissible pour un système censé représenter l'idée de la Révolution, un monde où tous les citoyens sont égaux !
  • Et enfin le kilogramme est l'unité la moins précise (précision aux alentours de \(10^{-6}\), ridiculement faible !), bien que paradoxalement la plus utilisée ; ainsi on achète très souvent au poids, et les unités secondaires du système SI en dérivent majoritairement (tout ce qui est force : gravité, énergie, travail, etc.).

De nombreuses commissions planchent en ce moment même pour améliorer la précision de cette unité. En particulier, un projet de boule de silicium pourrait atteindre une précision de 2 pour 100 millions aux alentours de 2010. Ironiquement, de nos jours encore on a beaucoup de mal à faire un objet plus précis que ce que les scientifiques savaient faire en 1880…