La théorie de la Reine rouge ou la course naturelle à l'armement
Comment les espèces animales s'adaptent-elles en permanence ?
Pour entamer cette histoire, il me faut vous parler d'Alice au pays des merveilles. Ou plutôt de sa suite, écrite elle aussi par Lewis Caroll : De l'autre côté du miroir.
Dans cet ouvrage, Alice et la Reine rouge se livrent à une course effrénée pour simplement… rester au même endroit. Elles courent, elles courent, mais le paysage autour d'elles ne change pas, c'est toujours le même arbre qui se trouve au-dessus de leurs têtes, comme si elles étaient constamment à un ou deux pas du but.
C'est ce passage que Leigh Van Halen utilise dans les années 1970 pour illustrer un constat de la nature : la coévolution. La coévolution explique le fait qu'une espèce n'atteint jamais d'adaptation finale à son environnement. Il lui faudra toujours, sans exception, s'adapter à nouveau à ce qui l'entoure.
Laissez-moi vous l'illustrer d'un exemple poétique : prenez une plante à fleurs d'un côté, une abeille de l'autre.
La plante n'est guère mobile, la pauvre. Il lui est difficile d'aller déposer son pollen sur une autre fleur : elle s'est donc arrangée, au fil des générations, pour faire de jolies fleurs, colorées, parfumées, remplies d'un délicieux nectar, irrésistibles pour l'abeille ! Conquise, celle-ci récupère le pollen sur ses pattes arrière, et le dépose sur d'autres fleurs qui possèdent les mêmes caractéristiques. Parallèlement, la fleur fait en sorte de placer ses « puits à nectar » tout au fond de la fleur. Ainsi, l'abeille doit aller en profondeur pour récolter le délicieux produit, et a plus de chances de déposer le pollen et d'assurer l'apparition de petites fleurs.
Mais l'abeille aussi évolue : elle a besoin du nectar, et la sélection a opéré pour que ses trompes soient plus longues, s'adaptant à la profondeur du nectar. C'est ainsi que l'on peut décrire une coévolution « pacifique ». Les deux parties s'arrangent et maintiennent l'équilibre en s'adaptant l'une à l'autre !
Mais la coévolution fonctionne aussi dans un but moins louable : on parle alors de « course à l'armement ».
Prenez d'un côté une feuille de tabac (encore sur son plant). D'un autre, la chenille du sphinx, qui raffole de ces feuilles, gorgées de délicieuse nicotine. Et d'un autre côté encore, une petite guêpe, qui a besoin de parasiter un autre organisme pour assurer sa descendance.
La feuille de tabac, lasse de se faire dévorer, apprend à repérer l'arrivée des chenilles. Elle diminue alors sa production de nicotine pour devenir moins goûteuse, et sécrète une autre molécule, qui attire les guêpes.
Celles-ci répondent à l'appel, et se font une joie de pondre dans les chenilles du sphinx. Les larves de guêpe vont se délecter des chenilles et se développer en elles, limitant largement les dégâts de celles-ci dans les troupes du tabac.
Mais le sphinx, lui, n'est pas en reste ! Il développe une manière de protéger ses chenilles : il entoure notamment les œufs des guêpes d'une substance toxique qui les détruit.
Mais la guêpe est maligne : elle produit à son tour un virus, élaboré à partir de son propre génome, qui force la chenille à rester à un stade juvénile. Celle-ci n'est plus en mesure de combattre et se laisse dévorer.
Voilà un bon exemple de coévolution, ou « théorie de la Reine rouge ». Pour la nature, il n'existe pas d'évolution « optimale ». L'évolution d'un organisme sera toujours, selon cette théorie, relative à son environnement.