Feu Monsieur X…
Désignation rare mais possible de nos chers disparus.
Mais pourquoi feu tient-il ici sa partie dans la rubrique nécrologique ? S'agit-il de signaler des hérétiques promis au bûcher ? De distinguer des destins particulièrement illustres, des vies portées à un point d'incandescence tel que le souvenir en est resté éternellement gravé dans la langue ? Hypothèses fantaisistes qui se heurtent au demeurant à un principe de réalité d'ordre grammatical : l'absence d'article, l'apposition au nom de personne indiquent déjà que feu peut difficilement fonctionner comme un substantif. Le doute n'est plus permis à la rencontre de la version féminisée de l'expression : Feue Madame Y… L'accord selon le genre balaye les dernières hésitations : en l'occurrence, feu est un adjectif.

C'est à l'étymologie qu'il faut ensuite recourir pour disposer des éclaircissements sémantiques nécessaires. Feu est l'aboutissement phonétique en français de l'adjectif latin fatutus(1) qui désigne littéralement une personne qui a accompli son destin. Vulgairement parlant, un mort, donc.

Étymologie éclairante, apparemment non discutée, sans grand relief pourtant, surtout en regard des flamboyances un instant entrevues par erreur.

Ce feu/fatutus inspire pourtant à Montaigne un commentaire intéressant(2) : il voit dans son utilisation une manifestation de la crainte superstitieuse que les Romains ressentaient au moment de prononcer tout haut le nom de la mort. Au point qu'ils préféraient avoir recours à la périphrase dont il est question ici : car, dire d'une personne qu'elle a accompli son destin, c'est-à-dire qu'elle a vécu, n'est-ce pas trouver encore le moyen de parler de la vie à l'instant même où il n'est question que de la mort ?


  1. (1) Fatutus appartient au latin vulgaire (ce latin tardif et transformé dont est issue une très grande partie du lexique français) mais est dérivé du susbstantif fatum (le destin), en usage, quant à lui, dans le latin classique.
  2. (2) En réalité, les choses ne sont pas aussi claires : Montaigne dit que l'expression française Feu Maistre Jehan provient de cette habitude qu'avaient les Romains de dire il a vécu là où nous dirions désormais il est mort. Il ne cite aucune étymologie latine précise et on peut même se demander s'il n'imagine pas plutôt une filiation entre le français Feu et le latin fuit (il fut). Mais rien ne semble permettre d'en décider.