Salut à toi, lecteur toujours fidèle !
Salut à toi, lecteur occasionnel !
Salut à toi, lecteur qu'on dépucelle !
Salut à toi, quatrième rime en [Ɛl](1) !

Aujourd'hui, lectorat chéri, permettez-moi de vous raconter mon week-end sous forme d'une petite anecdote dont l'issue est l'arrivée de l'idée du sujet du jour.

Donc, ce week-end, j'étais tranquillement occupé à observer deux papillons jolis qui se voletaient après la trompe, enveloppé de la douce chaleur crépusculaire et des rayons rosés d'un soleil finissant, les oreilles ravies du ronronnement aqueux du ru rieur voisin accompagné du crépitement rassurant du bûcher que j'avais allumé, et dont les vapeurs soufrées agaçaient gaiement mes narines ; la pelle à l'épaule et l'humeur à l'avenant(2), j'étais bien.

Pris d'une soudaine, mais néanmoins modérée soif, je me penchais alors vers le ru rieur sus-mentionné et tombais nez à nez avec une vision onirique.
« Ma parole ! » me dis-je alors avec un sens aigu de la litote, « en voilà un agréable visage ! ». Car ce beau visage de prince pirate dardant sur le monde un regard fier et ombrageux empreint d'une sensualité profonde et bestiale que l'adolescente enfiévrée se remémore dans la solitude épaisse de son lit lorsque ses doigts timides se referment sur son désir aurait fait fondre(3) le cœur de glace de la plus farouche des amazones(4) ! Puis, m'apercevant que c'était ma trogne que je mirais, j'en vins à penser que la vanité ne m'étouffait pas quand tout à coup, une idée d'une fulgurance toute relative me frappa : vanité, bûcher, article(5).

Il fait frisquet ce 6 février 1497 à Florence, comme tous les jours depuis des semaines. Le peuple est énervé de ne pouvoir se promener en tongs, comme le titre La Gazette Florentine : “ Encore une nouvelle vague de froid, les Florentins en ont marre !! Que fait le gouvernement ‽!
Eh bien, ce gouvernement, justement, il s'active.

À l'époque, Florence est gérée par Jérome Savonarole (Girolamo Savonarola), prêtre de son état, prédicateur acharné, endoctrineur de talent et illuminé notoire, dirigeant incontesté de la dictature théocratique qu'il a instaurée à la mort de Laurent de Médicis. Ce personnage primesautier et affable, voyant son peuple en proie au grelottement, prend alors une décision pour réchauffer la plèbe.
Ses jeunes disciples, vêtus de belles robes blanches prônant la pureté, l'aumône et la charité, se mirent en devoir de taper aux portes des Florentins pour leur demander quelque combustible afin de réaliser de grands feux de joie pour réchauffer le corps et le cœur de la cité.

Le 7 février 1497, jour de Mardi Gras, l'opération « Bûcher des Vanités(6) » fut menée à bien. Des milliers d'objets furent entassés en tas auxquels Savonarole et ses disciples boutèrent le feu, exhortant les spectateurs à leur amener encore plus de choses à brûler, mais pas n'importe lesquelles. En effet, une Bible, par exemple, est un piètre combustible ; on lui préférera des objets qui poussent au péché, produits du malin (et donc hautement inflammables), notamment ceux qui poussent à la vanité(7) : miroirs, cosmétiques, cartes à jouer, robes richement travaillées, bijoux, instruments de musique par exemple. Mais si vous êtes un peu démuni et peu versé dans les arts d'Apollon, rien ne vous empêche d'apporter votre modeste contribution sous forme de livres immoraux et impies, de partitions de chants non religieux et traditionnels, ou encore de peintures obscènes, car de nus ou n'étant pas très chrétiennes, et de statues.

Bien que la plupart de ces contributions fussent apportées par les mains chastes et blanches des disciples de Savonarole, il y eut quand même des artistes engagés, soucieux de la misère humaine, qui apportèrent eux-mêmes leurs chefs-d'œuvre, comme Botticelli, par exemple.

Ainsi, grâce à la fabuleuse idée de Savonarole(8), les Florentins passèrent ce Mardi Gras bien au chaud, avec pour seule ombre au tableau la destruction de milliers de trésors de la Renaissance italienne sous la houlette bienveillante d'un fanatique manipulateur qui finira, six mois plus tard, excommunié par le Pape, pendu et brûlé(9). Mais que sont la beauté de l'art, les richesses matérielles et intellectuelles face à quelques degrés de plus un 7 février ?


  1. (1)
    — Ah bah, t'es là !
    — Chhhuuuuttteeuh…
    — Tu es charmant, aujourd'hui.
    — Tais-toi ! tu risques de tout gâcher !
    — Ça va, hein. Gâcher quoi, d'abord ?
    — Ma théorie. Je crois qu'en fait, elle reste là car elle est encore au stade de nymphe. Je pense que cette anaphore est holométabole.
    — Et donc tu veux rester planqué ici, pour voir si elle va se métamorphoser en un zigouigoui quelconque ?
    — Ouaip !
    — Hmmm… il va falloir des vivres. Grappa ?
    — Avec plaisir.

  2. (2) Je suis toujours d'humeur guillerette après un autodafé d'une meute de jeunes « atteints de dysorthographie » ou de toute autre espèce d'imbéciles. Et pour ceux que cela intéresse, la pelle sert à leur taper dessus pour éviter qu'ils se débattent. Je ne suis pas un monstre, tout de même.
  3. (3) C'est le visage qui fait fondre. Suivez un peu.
  4. (4) Respirez !
  5. (5) TaadaaAA !
  6. (6) Falò delle vanità en italien. C'est fou comme la pire des choses prend une tournure agréable dès lors qu'elle est expliquée par un transalpin.
  7. (7) Ce qui est bien compréhensible. Essayez de brûler, et de trouver aussi, des objets qui poussent à la gourmandise ou à la paresse… et rappelez-vous qu'à l'époque la télécommande universelle et la sorbetière automatique n'existaient pas !
  8. (8) En fait, ce monsieur n'a trouvé que le nom « Bûcher des Vanités ». Bien avant lui, saint Bernardin de Sienne allumait aussi de tels feux de joie chaque fois qu'il allait prêcher dans la campagne.
  9. (9) En souvenir de Mardi-Gras, certainement. N'est-ce pas cocasse ?