Avant de lire cet article, assurez-vous d'avoir lu l'épisode précédent !

Deux ans après le départ de l'expédition, l'opinion publique s'inquiète du fait qu'aucune nouvelle n'est parvenue de l'Erebus et du Terror. Sous la pression de Lady Jane Franklin, des parlementaires et de la presse écrite, l'Amirauté organise une opération de sauvetage en trois parties en 1848 : deux expéditions maritimes (une passant par le détroit de Lancaster précédemment emprunté par Franklin, une passant par l'océan Pacifique) et une expédition terrestre remontant le fleuve Mackenzie. Elle offre également une récompense de
20 000 livres à tout navire, britannique ou étranger, pouvant prêter assistance au navire de Franklin.
Les expéditions de recherche furent des échecs, et ce malgré la participation d'hommes extrêmement expérimentés. James Ross(1), grand explorateur polaire, fut l'un des premiers à demander une opération de recherche et se porta volontaire pour diriger l'expédition passant par le détroit de Lancaster. L'expédition terrestre, dirigée par deux explorateurs célèbres, John Rae et Sir John Richardson, ne trouve également aucune trace de Franklin.

Reliques de l'expédition dans un journal britannique.
Reliques de l'expédition dans un journal britannique.

Il faut attendre 1850 pour découvrir les premiers restes du destin de l'expédition. Cette année-là, treize navires balaient l'Arctique canadien, et découvrent les tombes de trois marins de l'expédition de Franklin : John Torrington (mort le 1er janvier 1846 à 20 ans), John Hartnell (mort le 4 janvier 1846 à 25 ans) et William Braine (mort le 3 avril 1846 à 32 ans). Cependant, aucun message de l'expédition Franklin n'est trouvé sur le site.

Mais alors que de nombreuses expéditions partaient à la recherche de Franklin, John Rae continua de son côté ses recherches lors de ses expéditions pour le compte de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Il se lia aux Inuits en leur offrant des provisions et en les aidant à la chasse. C'est de la bouche d'un d'eux qu'il apprend, en 1854, qu'un groupe d'une quarantaine de « kablounans »(2) serait mort de faim à l'embouchure de la rivière Back. Il achète auprès d'eux des objets ayant appartenu à ces hommes, comme des fourchettes et cuillères en argent(3), des boussoles et des couteaux.

John Rae.
John Rae.

Suite à ses investigations, John Rae écrivit un message à l'Amirauté pour annoncer ses découvertes. Cependant, il rapporte un témoignage qui fait bondir l'opinion public victorienne de l'époque, d'un puritanisme extrême :

From the mutilated state of many of the corpses and the contents of the kettles, it is evident that our wretched countrymen had been driven to the last resource – cannibalism – as a mean of prolonging existence.

(D'après l'état mutilé des cadavres et le contenu des bouilloires, il est évident que nos pauvres compatriotes ont été réduits à la dernière extrémité – le cannibalisme – dans le but de prolonger leur existence.)

— Rapport de John Rae à l'Amirauté, écrit le 29 juillet 1854 à Repulse Bay.

Une semaine après que le rapport eut été dévoilé au public, Charles Dickens contesta au nom de Lady Franklin la véracité des affirmations des Inuits (John Rae n'ayant trouvé aucune preuve allant dans ce sens), expliquant que l'on ne « pouvait se fier à la parole de sauvages »(4).

Suite à ce rapport, l'Amirauté envoie en 1855 deux hommes de la Compagnie de la Baie d'Hudson, James Anderson et James Stewart, pour explorer l'embouchure de la rivière Back. Ils rencontrent un groupe d'Inuits confirmant qu'un groupe de non-Inuits était mort de faim le long de la côte. Ils trouvent en août à l'embouchure du fleuve Back un morceau de bois sur lequel était inscrit « Erebus » et un autre avec « Mr. Stanley », qui était le chirurgien à bord de l'Erebus. Malgré l'insistance de John Rae et James Anderson pour continuer les recherches, l'Amirauté déclare officiellement que l'équipage est mort en service le 31 mars 1854.

Lady Franklin, ne pouvant convaincre le gouvernement de reprendre les recherches, lança une souscription publique pour financer une nouvelle expédition. Commandé par Francis Leopold McClintock, un autre explorateur célèbre polaire, l'expédition part d'Aberdeen en 1857 à bord de la goélette à vapeur Fox. Les équipes de recherche rejoignent à traîneau l'île du Roi-Guillaume. Là-bas, l'un des seconds de McClintock, William Hobson, trouve un cairn érigé par James Ross en 1831(5).

Les deux messages de l'expédition. Le premier est marqué en haut, le second sur la marge du document.
Les deux messages de l'expédition. Le premier est marqué en haut, le second sur la marge du document.

Surprise : les hommes de Franklin y ont laissé deux messages. Le premier, écrit le le 28 mai 1847, explique que l'Erebus et le Terror ont hivernés auprès de l'île Beechey, ajoutant « All well » (« Tout va bien »). Mais le deuxième message, écrit le 25 avril 1848 en marge du premier, est plus grave.

April 25, 1848 – H. M. ships 'Terror' and 'Erebus' were deserted on the 22 d April, 5 leagues N. N. W. of this, having been beset since 12 th September 1846. The officers and crews, consisting of 105 souls, under the command of Captain F. R. M. Crozier, landed here in lat. 69° 37' 42«  N. , long 98° 41' W. Sir John Franklin died on the 11 th June, 1847 ; and the total loss by deaths in the expedition has been to this date 9 officers and 15 men.

(25 avril 1848. Les Bateaux de Sa Majesté Terror et Erebus sont désertés le 22 avril, 5 lieues N. N. W. (6) de cela, étant bloqués depuis le 12 septembre 1846. Les officiers et l'équipage, représentants 105 âmes, sous le commandement du capitaine F. R. M. Crozier, sont situés à la lat. 69° 37' 42 » N. , long. 98° 41' W. Sir John Franklin est mort le 11 juin 1847 ; et le total des morts de l'expédition est à cette date de 9 officiers et 15 hommes.)

— Second message de l'expédition, écrit le 25 avril 1848.

Par les coordonnées fournies, la note indiquait que les survivants se dirigeaient vers l'embouchure de la rivière Back.

L'expédition de McClintock découvre également un squelette humain sur la côte sud de l'île du Roi-Guillaume. Il est fouillé, puisque toujours habillé, et on découvre des papiers lui prêtant l'identité d'Henry Peglar, capitaine du mât de misaine du HMS Terror. Toutefois, son costume étant celui d'un maître commis du navire, on en déduit qu'il s'agit du corps de Thomas Armitage, équipier de Peglar dont il portait sûrement les papiers. Sur un autre site, à l'extrême ouest de la côté, on découvre un canot de sauvetage contenant deux cadavres et divers objets de l'expédition. Enfin, McClintock, à la manière de Rae et Anderson, enregistre des témoignages d'Inuits. Sur cela, l'expédition rentre au Royaume-Uni et annonce ses découvertes.

Même si tout laisse à penser que l'expédition a connu une fin tragique, cela n'empêchera pas Lady Franklin de mener une seconde expédition, qui se montrera cette fois infructueuse. Elle meurt en 1875, sans connaître le destin exact de son mari et de l'expédition. De nombreuses ballades célèbreront l'opiniâtreté de Lady Jane Franklin, dont la plus célèbre d'entre elles est Lady Franklin's Lament.

In Baffin's Bay where the whale fish blow
The fate of Franklin no man may know
The fate of Franklin no tongue can tell
Lord Franklin alone with his sailors do dwell

And now my burden it gives me pain
For my long-lost Franklin I would cross the main
Ten thousand pounds I would freely give
To know on earth, that my Franklin do live.

— Lady Franklin's Lament

  1. (1) James Ross était l'un des hommes les plus compétents de l'Amirauté pour l'exploration polaire ; seul le capitaine Crozier était aussi expérimenté que lui dans la Royal Navy. Ross a cartographié de façon précise et remarquable le nord du Canada et la partie ouest de l'Articque, et serait le découvreur du pôle Nord magnétique. Ironiquement, il utilisa avant Franklin le Terror et l'Erebus pour une expédition en Antarctique.
  2. (2) Le mot désigne en inuktitut (une langue inuit) les « hommes blancs », ou si vous préférez, les Européens.
  3. (3) Plus tard, certaines d'entre elles furent identifiés comme appartenant à Franklin et à Crozier.
  4. (4) Il est assez ironique de voir que la presse britannique contesta les témoignages inuits, alors même que Franklin et ses hommes, lors de sa première expédition polaire, avaient étés sauvés par la tribu amérindienne des Yellowknives.
  5. (5) Oui, celui qui commanda l'une des expéditions de sauvetage précédentes !
  6. (6) 27 kilomètres au Nord Nord Ouest.

Cet article vous a plu ? Courez lire la suite !