Bonjour, ou bonsoir, à toutes et à tous.

À chaque bonne histoire, il faut un vilain. Ici, vous en aurez deux pour le prix d'un. Car, rémois d'origine, je me dois de vous conter son histoire, qui fait partie de la Grande histoire.

Ce Villain(1), prénommé Raoul, vit le jour dans la ville de Reims, dans la Marne, le 19 septembre 1885. Il était le fils d'un greffier du tribunal local. Étudiant en archéologie à l'école du Louvre, il devient rapidement militant, tout d'abord dans un mouvement chrétien-social appelé le Sillion(2), puis dans un groupuscule d'étudiants d'extrême droite, profondément nationaliste et revanchiste(3) : « La Ligue des jeunes amis de l'Alsace Lorraine ». Ce groupuscule était opposé fondamentalement à la politique pacifiste que menaient certains hommes politiques comme un certain Jean Jaurès.

Très vite, et à l'approche des tensions qui précèdent la Première Guerre Mondiale, il se met en tête de tuer le leader socialiste. À cet effet, il achète un revolver et traque sa cible. Le vendredi 31 juillet 1914, à 21h40, dans l'embrasure d'une fenêtre du Café du Croissant au 146 Rue Montmartre à Paris, il tire deux balles sur Jean Jaurès. Atteint à la tête, ce dernier meurt sur le coup.

Villain passe toute la Première Guerre Mondiale en prison, alors même que son geste a convaincu l'opinion socialiste. Son procès devant les assises de la Seine a lieu après l'armistice, dans un contexte ultra patriotique. Il est acquitté à une large majorité et la veuve de Jaurès est condamnée aux dépens(4). Ce verdict fait enrager à la fois certains intellectuels, donc Anatole France(5), et le monde syndical et socialiste, qui organise une manifestation de protestation.

La morale ? Eh bien, Villain le vilain ne profita pas longtemps de sa liberté. En effet, arrêté pour une affaire de fausse monnaie, il émigra en Espagne, à Ibiza, où, grâce à l'argent d'un héritage, il vécut heureux quelques temps… Non, ça ne finit pas bien pour lui, laissez-moi terminer.

Les affres de la Guerre sont ce qu'elles sont. Et Villain en paya le prix lors de la Guerre Civile Espagnole, il fut exécuté par des milices anarchistes pour espionnage. On ne sait pas si ses actes leur furent connus, ni même son identité.

Alors, vous voyez que les vilains sont toujours punis ?


  1. (1) Avec deux « L » comme les oiseaux.
  2. (2) C'est un mouvement qui visait à faire cohabiter la religion catholique et la modernité, pour détourner les classes ouvrières de la gauche anticléricale, il fut condamné par le Pape Pie X et s'auto-dissolut.
  3. (3) Désirant une guerre avec l'Empire Allemand pour venger l'affront de 1871.
  4. (4) Cela signifie être condamné, au terme d'une procédure judiciaire à payer tout ou partie du coût du procès supporté par un adversaire.
  5. (5) « Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n'est pas un crime. Ce verdict vous met hors-la-loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! » L'Humanité, 4 Avril 1919.