Quinctilius Varus, rends-moi mes légions !
L'empereur Auguste n'aimait pas les défaites !
Nous sommes en l'an 9 de notre ère. Des coups sourds résonnent dans le palais impérial silencieux. Auguste va mal. Une nouvelle qui lui est arrivée l'a bouleversé. Il erre dans le palais, cheveux sales et barbe sans entretien, et se frappe la tête contre les portes en vociférant « Quintilius Varus, rends-moi mes légions ! »
Cette nouvelle, c'est que les légions romaines ont subi une grande défaite, un désastre en Germanie.
En Germanie, oui. Mais nous, contemporains du monde occidental plutôt que du monde romain, ne savons pas exactement où. Tacite nous renseigne à ce sujet, indiquant un emplacement vague « entre l'Ems et la Lippe ». Querelles de traductions, revendications diverses font que l'endroit exact n'est pas connu.
Toujours est-il qu'à cet endroit en Germanie, eut lieu la bataille dite de Teutobourg, de Teutoburger Wald ou Teutberg.
Cette bataille s'inscrit dans le cadre des campagnes romaines régulières en Germanie depuis Jules César, qui s'y aventura deux fois. Auguste procède, après son accession au pouvoir et sa pacification de la péninsule ibérique, à la conquête de cette province. En 7 avant Jésus Christ, c'est chose faite, les romaines sont sur l'Elbe et construisent des camps permanents, un triomphe est célébré à Rome. Auguste accorde la citoyenneté à certains membres des élites locales. Une administration est mise en place, une capitale(1) est fondée. Un sénateur est nommé gouverneur de la nouvelle province. Cet homme s'appelle Publius Quinctillus Varus. Ce n'est pas un habile politique, et malgré la présence d'un fort contingent de soldats romains pour pacifier la région, et la nouveauté de la conquête, il administre celle-ci comme une province depuis longtemps pacifiée. Pire, il le fit dans une hâte déraisonnable et d'une manière brutale. Ce comportement n'est pas accepté par les Germains.
Parmi les conseillers autochtones se trouve Caius Julius Arminius, un Germain de vingt-cinq ans, ayant obtenu la citoyenneté romaine. Il est le fils de Ségimerus, le chef de la tribu germaine des Chérusques. Il ment à Varus et assure à celui-ci que les Germains sont satisfaits des réformes et du gouvernement de la province. Il n'agit pas de manière isolée mais dans le cadre d'une alliance des tribus germaines(2) pour une action le moment venu.
Ce moment vient à l'automne de l'an 9 de notre ère. Varus part inspecter l'est de sa province, sans qu'aucun incident ne trouble cette inspection. Il rentre donc à Ubiorum par la route habituelle. Il est informé qu'une action se prépare contre lui, mais, rassuré par la présence pour le protéger de trois légions, de leur cavalerie, ainsi que de six cohortes auxiliaires, il n'y prend pas garde. Il répond même favorablement à un peuple germain qui lui demande de l'aide. Il fait donc faire un détour à son armée, qui s'étire dangereusement dans une zone peu praticable de marais et de forêts.
Soudain, c'est une embuscade de grande ampleur et d'une violence inouïe qui s'abat sur des Romains incapables de se mettre en position de bataille. Les auxiliaires Germains ont déserté pour rejoindre les attaquants : les Romains ont été trahis. Trois jours durant la bataille fait rage, et les Romains ne peuvent reprendre l'avantage. L'armement des Romains les handicape, face aux Germains en surnombre et préparés. À la fin du troisième jour, quelques soldats ont pu, en perçant les lignes germaines, fuir vers un camp proche. La plupart sont exterminés ou capturés. Les emblèmes des légions, les fameux aigles, sont saisis. Les chefs ne réussissent pas à fuir ; certains, comme Varus, se donnent la mort.
Les conséquences de la bataille sont terribles : tous les camps de la rive droite du Rhin sont détruits, trois légions sont détruites, et la colonisation romaine en Germanie s'arrête pour quelques années. Les Chérusques, triomphants, envoient la tête de Varus à une autre peuplade germaine pour l'inciter à la révolte.
Auguste est touché durement par la nouvelle qu'il apprend(3). Il aurait prononcé la phrase qui sert de titre à cet article : « Vare, legiones redde »(4).
Il faudra plusieurs années avant qu'un général romain lave l'affront. Il s'agira, en l'occurrence, de Germanicus, le père de Caligula. Mais cela est une autre histoire !