Parfois, une question simple peut avoir une réponse complexe. Vous ne me croyez pas ? Très bien. Voici une question : quel jour suit le jeudi 4 octobre 1582 ? Le 5 octobre ? Bien essayé, mais ce n'est pas ça. La bonne réponse était le vendredi 15 octobre. Étrange ? Pour comprendre, nous allons devoir effectuer un saut dans le passé.

Nous voilà donc chez les Romains. Leur année était alors divisée en dix mois de 355 jours, avec intercalation d'années spéciales de 377 ou 378 jours créant un mensis intercalaris (« mois intercalaire »), amenant à une durée moyenne sur l'année de 366,25. Cependant, ces années spéciales n'étaient pas très bien respectées car décidées sur intervention humaine ; elles pouvaient même être abolies en situation de crise (les guerre Puniques en sont un bon exemple). Bref, il était quasiment impossible pour un romain hors de Rome de savoir où il en était. Pendant les dernières années (vers 47), le maelström était tel qu'on les surnomma « années de la confusion ». Jusqu'à ce qu'un sauveur se présente en la personne de Jules César, qui proposa un nouveau calendrier nommé calendrier julien – à tout seigneur, tout honneur.
Ce calendrier se basait sur 12 mois de 28, 30 et 31 jours, avec intercalage d'une année bissextile tous les quatre ans, ce qui amène donc l'année moyenne à 365,25 jours : un chiffre beaucoup plus en phase avec l'année réelle qui dure 365,242 jours. Le problème fut que le calendrier romain avait accumulé près de 90 jours de retard, ce qui força César à créer une année « spéciale » de 445 jours en 46 pour éviter d'avoir les giboulées de mars en plein mois de décembre. Problème résolu ? En théorie, oui. En pratique, les prêtres un peu simplets interprétèrent ce nouveau calendrier de façon erronée (une année bissextile tous les trois ans), forçant Auguste à sauter de nouveau quelques jours 36 ans plus tard et à apprendre les bases de l'algorithmie aux prêtres, histoire que ça ne se reproduise pas. Non mais.

Tout alla parfaitement bien pendant des siècles. Mais en tant qu'éminent mathématicien, vous voyez déjà le problème se profiler à l'horizon… l'année julienne n'était pas parfaitement coordonnée avec l'année solaire, et même si le décalage paraît minime, répété un millier de fois cela commence à représenter beaucoup d'argent (car le temps, c'est de l'argent – ne l'oublions pas). Et voilà donc le pauvre pape Grégoire, treizième du nom, qui s'arrache les cheveux (en avait-il ? l'Histoire ne le dit pas) pour déterminer la date de Pâques(1). Notre bon pape publie donc une bulle nommée Inter gravissimas, qui annonce que le jeudi 4 octobre 1582 sera immédiatement suivi du vendredi 15 octobre pour compenser le décalage accumulé depuis Jules, et que désormais les années bissextiles ne seront plus une fois sur quatre, mais une fois sur quatre sauf pour les millésimes multiples de 100 sans être multiples de 400(2)(3).

Même si la réforme est justifiée d'un point de vue astronomique, sa provenance de l'autorité religieuse catholique fâche : Johannes Kepler dira même qu'il préfère être en désaccord avec le Soleil, plutôt qu'en accord avec le pape. Ajoutons que même si la bulle papale est extrêmement précise, certaines personnes l'interprètent de façon incorrecte et pensent qu'ils devront payer un mois complet de loyer, ce qui donne lieu à des manifestations et des révoltes – même à l'époque, on n'appréciait pas trop le changement. Finalement, les pays alignés avec l'Église (Espagne, Italie, Portugal, Pologne…) effectuèrent bien le changement à la date indiquée, pour les autres il faudra attendre – parfois plusieurs siècles, comme la Russie (pardon, l'URSS) qui n'effectuera le transfert qu'en 1918, ou la Chine qui patientera jusqu'à 1949.

Fin de l'Histoire ? Oui. Fin de l'histoire ? Non. Car même si la majorité des pays est maintenant synchronisée sur le même calendrier (il reste encore des récalcitrants, tels l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Afghanistan…), les historiens continuent de s'arracher les cheveux. La convention adoptée pour nommer les dates avant 1582 est de conserver le calendrier julien(4) – les problèmes commençant à apparaître lorsque l'on traite d'évènement communs à deux pays n'utilisant pas le même système ! Décidément, le temps n'est pas une grandeur facile à mesurer


  1. (1) Calculer la date du jour de Pâques est un algorithme autrement plus complexe que « ajouter un jour tous les quatre ans », mais que voulez-vous ma bonne dame, on ne peut plus se fier à personne. Pour les curieux, voilà la recette du jour de Pâques : Pâques est célébrée le dimanche après le 14e jour du premier mois lunaire du printemps, donc le dimanche après la première pleine lune advenant pendant ou après l'équinoxe de printemps.
  2. (2) Pour ceux qui auraient décrochés, cela signifie que 1600 et 2000 furent bissextiles, mais pas 1800 et 1900.
  3. (3) Accessoirement, on décida aussi officiellement que le calendrier commencerait le jour de la circoncision d'un certain Jésus-Christ, soit 8 jours après sa naissance.
  4. (4) Autrement dit, le vendredi 13 continue d'être nommé ainsi, même s'il s'est produit astronomiquement un dimanche 22.