Cher lecteur, toi qui a la chance de posséder un vocabulaire riche comme Crésus(1), tu as certainement considéré avec un brin de mépris, une once de supériorité et un zeste de dédain le professeur (ou tout autre individu lambda) qui se permettait d'exprimer son agacement lorsqu'un devoir (ou quoi que ce soit d'autre, dans le cas de l'individu lambda sus-mentionné) n'était pas fait à temps, et que lui venait alors aux lèvres la prévisible (et donc, par là-même, digne de la moue dédaigneuse qu'affichait très certainement ta bouche dans cette situation) réplique : « Vertudieu(2), je vais pas attendre jusqu'à la Saint-Glinglin ! »

« Je, vous dites-vous alors(3), conçois bien que cette utilisation de  “Saint-Glinglin”  soit indigne de ma condition d'homme cultivé, mais enfin, dans ce cas, que dire à la place ? » Eh bien, mais c'est évident ! Les calendes grecques sont là pour ça ! En effet, outre le fait que la référence aux Anciens (c'est-à-dire aux Grecs et aux Romains, NplI(4)) rehausse considérablement le niveau de votre discours(5), cela aura aussi pour avantage de montrer aux autres qu'il est possible d'utiliser les grecs dans un proverbe sans que ça ait nécessairement un lien avec des pratiques sexuelles non-conventionnelles.

Bon, très bien, me direz-vous. Mais, très exactement, ça a lieu quand, les calendes grecques ? La réponse est, ma foi, assez peu surprenante : les calendes grecques, comme la Saint-Glinglin et la semaine des quatre jeudi, n'existent pas. En effet, calendes vient du latin calendus, signifiant, ô surprise, calendes, c'est-à-dire le premier jour du mois, qui chez les Romains correspondait au jour de la pleine Lune(6). Les jours de pleine Lune, situés au milieu du mois, étaient eux nommés les ides. Les autres jours du mois étaient désignés en fonction de leur éloignement par rapport à ces deux jours particuliers, en prenant en compte le prochain de ces jours à venir. Par exemple, 2 jours avant les calendes de Mars, ou 6 jours avant les ides de Septembre. On peut noter également que c'est le jour des calendes que les Romains faisaient leurs comptes et exigeaient leurs remboursements, ils nommaient donc calendarium le registre sur lequel ils tenaient ces comptes. Le mot calendarium a bien évidemment donné le mot français calendrier…

Tout cela est bien joli et très intéressant, mais quid des calendes grecques ? Eh bien, les Grecs n'avaient pas de calendes. La Grèce étant composée d'un très grand nombre de cités indépendantes et chaque cité ayant son calendrier propre, il n'existe pas réellement de « calendrier grec », mais on sait de façon certaine que les calendes sont une invention romaine. Vous pourrez donc, en toute tranquillité, repousser les échéances que vous voyez se profiler dangereusement à l'horizon jusqu'aux calendes grecques, ce qui devrait vous donner suffisamment de répit…


  1. (1) Ou peu s'en faut.
  2. (2) Ceci, bien sûr, en admettant que votre interlocuteur emploie ce genre d'exclamation, ce qui serait fort surprenant mais néanmoins point désagréable, l'habituelle pléthore de jurons diversement imagés actuellement couramment utilisés tendant à devenir un rien lassante.
  3. (3) Ce n'est pas moi, mais Raymond Queneau, qui est à l'origine de cette construction syntaxique pour le moins originale. Je ne suis donc qu'un immonde plagiaire pompant la sève et le talent d'autres que moi pour en saupoudrer mes écrits. Honte à moi.
  4. (4) Note pour les Ignares.
  5. (5) Reconnaissez que pied grec ou pied romain, ça rend mieux que pied en cloche ou pied en diagonale
  6. (6) Pour que ces deux jours coïncident, les Romains comptaient dix mois de 30 ou 31 jours, et ajoutaient les jours restants irrégulièrement pour faire coïncider parfaitement les mois avec les lunaisons, les jours ne pouvant vraiment être casés nulle part n'étant tout simplement pas comptabilisés dans le calendrier. Il y avait ainsi une période de « blanc » d'un ou deux mois durant l'hiver.