Ca y est, la messe est dite : avec une régularité de métronome, vos amis succombent un à un à la tentation psychanalytique et, avec l'enthousiasme des convertis de fraîche date, s'emparent de leur bâton de pèlerin pour annoncer la Bonne Nouvelle urbi et orbi. Et puisque le monde entier devrait se ranger derrière leur bannière, vous devenez naturellement leur première cible. Eux, d'ordinaire si débonnaires, se transforment en hyènes implacables, prêtes à faire flèche de tout bois pour vous conduire, sans aucun détour possible, vers le premier divan venu.

Si, comme moi, la perspective de retourner votre âme comme un gant devant un parfait inconnu vous paraît à peu près aussi réjouissante que celle de vider vos entrailles en public, vous pourrez peut-être le jour venu tirer parti de cet article. Il semblerait en effet qu'immanquablement les mêmes arguments reviennent toujours, avec des variations assez minimes. Cela laisse donc supposer que la méthode que je m'apprête à vous livrer est partiellement transposable.

Elle est d'une simplicité biblique et, dans un ample mouvement d'une souplesse toute dialectique, se décompose en trois temps :

  1. vous devez d'abord repérer les arguments récurrents (avec un premier bénéfice immédiat : vous vous rendez compte qu'ils ne sont pas si nombreux. Cinq, à l'issue de mon propre décompte). Malheureusement, ces arguments sont à peine caricaturés pour les besoins de la démonstration ;
  2. vous leur accolez ensuite une jolie dénomination (proprement désignés, ils font déjà moins peur) ;
  3. vous êtes désormais en mesure d'élaborer un contre-argument, certes embryonnaire, mais que chacun pourra ensuite développer et adapter à sa guise.
  • La piqûre d'amour-propre : « le monde se sépare en deux catégories : il y a ceux qui l'ont fait et ceux qui ne l'ont pas fait ».
    Jusqu'à plus ample informé, chacun reste libre de placer son orgueil où il veut.

  • Le regret par anticipation : « c'est une expérience intellectuelle terriblement stimulante, à nulle autre pareille ».
    On peut probablement dire la même chose du vol à main armée ou du saut à l'élastique sans élastique…

  • La charité très, très mal ordonnée : « si vous ne le faites pas pour vous, faites-le au moins pour vos proches ».
    Vos proches vont bien, mille mercis pour eux !

  • Le raisonnement totalement pervers : « un refus si obstiné cache forcément quelque chose : c'est peut-être justement le signe qu'une psychanalyse serait tout à fait indiquée dans votre cas ».
    C'est de la torture mentale, ou quoi !

  • Le sadisme délirant : « un jour, vous verrez, vous aussi, vous serez très malheureux et vous n'aurez plus le choix ! »
    Mais comment accepter de pareils propos de la bouche de quelqu'un qui est censé être votre ami ?

Bon, la situation s'éclaircit un peu mais n'est pas totalement satisfaisante pour autant. Vous êtes à peu près seul. Ils sont nombreux et vous avez malgré tout affaire à forte partie. Vous avez épuisé vos maigres forces dans la bataille et il vous faut désormais aller chercher du renfort ailleurs.
Et, là, miracle de la mémoire rétrospective(1), vous allez pouvoir compter sur un puissant allié ! Le grand Vladimir Nabokov vient vous sauver la mise en quelques citations aussi roboratives qu'opportunes(2).

Le freudisme et tout ce qu'il a contaminé par ses implications et ses méthodes grotesques me semble être une des supercheries les plus ignobles auxquelles les hommes se soumettent ou soumettent leurs semblables. Je le rejette absolument avec d'autres procédés médiévaux adorés encore par les sots, les esprit moutonniers et les grands malades.

— Vladimir Nabokov

Chaque matin, c'est avec un plaisir particulièrement vif que je m'amuse à réfuter l'enseignement du charlatan viennois en me rappelant et en expliquant mes rêves, dans les plus petits détails, sans faire appel une seule fois à l'un de ses symboles sexuels ou complexes mythiques. J'invite instamment mes patients potentiels à en faire de même.

— Vladimir Nabokov

Forcément, l'ambiance s'est considérablement rafraîchie mais ils l'ont bien cherché, non ? Dans un court instant d'intense jubilation, vous commencez à vous décerner intérieurement quelques bravos lorsque, soudain, vous entendez votre démon familier vous chuchoter à l'oreille dans un sifflement perfide : qu'il y a plus désagréable que la lecture de Freud, que le scepticisme forcené a toujours entretenu avec la bêtise d'étroites relations de cousinage et qu'aucune aventure intellectuelle ne doit être totalement méprisée…
Bref, tout est à recommencer !


  1. (1) La mémoire rétrospective se limite au fait que vous savez où localiser ces citations. Il vous reste encore à trouver un prétexte pour quitter un moment le théâtre des opérations afin de les recopier ou, mieux, de les mémoriser.
  2. (2) Accessoirement, vous entrez ici dans la partie proprement culturelle de cet article, qui justifie le fait que vous le rencontriez ici.