Amis lecteurs, je vous plains. Je vous plains, car vous ignorez quelles sublimes réalités se cachent derrière ces noms aux sonorités barbaresques, heurtant vos délicates oreilles comme elles heurtèrent les non moins délicates miennes au premier abord, et quels sommets d'élégance et d'harmonie rhétorique les procédés désignés par ces termes déconcertants permettent d'atteindre…

Comme vous l'avez bien compris, l'anaphore, l'homéoptote, le polyptote et l'homéotéleute sont des figures de style(1). Mais quelles figures de style ? Eh bien, nous allons voir tout cela en détail.

  • Répétition : je sais, celle-là n'était pas prévue au programme, j'entends déjà les cris aigus z'autant que stridents des jeunes gens du premier rang qui hurlent au scandale devant cette preuve d'autoritarisme despotique de la part de votre serviteur. Eh bien, oui, je me permets de rajouter des définitions, et sans vous demander votre avis. En fait, il est à mon avis nécessaire de définir la répétition avant les quatre autres termes, parce que les quatre autres sont des cas particuliers de répétition. Alors, qu'est-ce qu'une répétition ? Tout bonnement une figure de style consistant à utiliser plusieurs fois, dans un temps relativement court, un même terme (cas le plus courant), une même structure syntaxique, ou tout autre élément notable, dans le but d'attirer l'attention du lecteur sur cet élément. La répétition peut avoir une visée humoristique, comme par exemple chez Queneau (qui fait d'ailleurs dire à l'un de ses personnages, dans Les Fleurs bleues : La répétition est l'une des plus odoriférantes fleurs de la rhétorique. ).
  • Anaphore : là, les choses sérieuses commencent(2). Le mot anaphore vient du grec αναφορα – anaphora – qui signifie reprise. Il désigne une figure de style, principalement utilisée dans la poésie en vers, mais aussi dans la prose, consistant à reprendre en début de vers ou de phrase un même mot ou un même morceau de phrase, et ce sur plusieurs vers ou phrases. Un bon exemple valant mieux que dix bons discours, voici une magnifique anaphore tirée d'un non moins magnifique poème :

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant

— Louis Aragon

Vous noterez qu'ici, dans le premier vers, les termes repris (« vingt et trois ») ne se trouvent pas au début du vers. Mais ils sont là quand même, et servent surtout à introduire l'anaphore qui suit dans le reste de la strophe.

  • Homéoptote : de ὁμοιος – homoios – qui signifie identique, et πτοτης – ptotès – qui signifie le cas (grammatical, s'entend). Là, nous entrons véritablement dans les figures de styles assez pointues. D'ailleurs, si vous cherchez homéoptote dans le Petit Robert, vous ne le trouverez pas. Alors, qu'est-ce ce c'est que cette homéoptote ? Là encore, nous avons affaire à une répétition particulière : une homéoptote est une répétition de structure syntaxique sur une même phrase ou sur plusieurs phrases successives. Autrement dit, la structure des propositions reste la même, les verbes gardent le même temps, le même nombre et la même personne (l'intérêt étant principalement de garder la même terminaison)… Le tout créant un effet de répétition non plus axé sur un mot ou un groupe de mots particulier, mais sur une structure particulière. Une fois de plus, un exemple viendra éclairer et démêler ce qui doit sembler obscur et embrouillé à votre esprit naturellement clair et ordonné, un exemple emprunté cette fois-ci à Apollinaire :

Les servants se hâtèrent
Les pointeurs pointèrent
Les tireurs tirèrent
Et les astres sublimes se rallumèrent l'un après l'autre

— Guillaume Apollinaire

Nous voyons bien, ici, les répétition de la structure « article défini pluriel/nom pluriel issu d'un verbe/verbe à la troisième personne du pluriel, faisant éventuellement écho au nom ».

  • Polyptote : ce mot vient du grec πολυς – polus – qui signifie plusieurs et πτοτης – ptotès – qui signifie le cas (grammatical, toujours !). Il désigne une figure de style consistant à utiliser dans un temps relativement court plusieurs mots issus de la même racine mais de natures différentes, ou un même verbe sous plusieurs formes différentes. Exemple ? Exemples !

Madame se meurt ! Madame est morte !

— Bossuet

meurt et morte, issus de la même racine, se répondent pour accentuer la nouvelle de la mort de Madame, ainsi que sa soudaineté : la mort succède immédiatement à l'agonie, sans transition.

Je suis tombé déjà, je puis tomber encore.

— Victor Hugo

Le verbe tomber est utilisé à deux reprises, mais conjugué différemment. Hugo cherche par là à rapprocher le fait d'être tombé et le fait de pouvoir tomber encore, en liant ces deux propositions par un polyptote.

  • Homéotéleute : de ὁμοιος – homoios – qui signifie identique, et τελευτη – teleuté – qui signifie la fin. Cette figure de style peut être opposée à l'anaphore : alors que l'anaphore désigne une répétition d'un mot ou groupe de mots en début de vers ou de phrase, l'homéotéleute désigne la répétition d'un son à la fin de plusieurs mots d'une même phrase, ou de plusieurs phrases ou vers successifs. Les illustrations en sont nombreuses dans la littérature :

Un jour de canicule sur un véhicule où je circule, gesticule un funambule au bulbe ridicule.

— Raymond Queneau

Ou encore, un exemple célèbre, tiré du Malade imaginaire :

MONSIEUR PURGON : Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable.
ARGAN : Ah ! Miséricorde !
MONSIEUR PURGON : Que vous tombiez dans la bradypepsie.
ARGAN : Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON : De la bradypepsie, dans la dyspepsie.
ARGAN : Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON : De la dyspepsie, dans l'apepsie.
ARGAN : Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON : De l'apepsie, dans la lienterie.
ARGAN : Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON : De la lienterie, dans la dysentrie.
ARGAN : Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON : De la dysentrie, dans l'hydropisie.
ARGAN : Monsieur Purgon !
MONSIEUR PURGON : Et de l'hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.

— Molière

Dans les deux exemples présentés, l'homéotéleute a un but avant tout humoristique, avec en plus l'intérêt d'un exercice rhétorique chez Queneau. Mais dans d'autres cas, le but peut être de rapprocher plusieurs termes pour souligner le lien qui les unit, ou au contraire mettre en évidence leur opposition. Par exemple :

Je suis au désespoir, car dans ma vie tout est noir. Pour moi, pauvre vieillard, de ma vie voici venu le soir. (3)

— Zehus

Nous voyons donc, dans ce magnifique exemple, une superbe homéotéleute qui souligne le lien entre les mots « désespoir », « noir », « vieillard » et « soir », qui tous expriment la décrépitude de l'auteur.

Ici s'achève la présentation de ces quatre figures de style. Armés à présent de ces caviars de la rhétorique, il ne vous reste plus qu'à les caser comme vous pouvez dans vos discours pour être les nouveaux Gorgias, ou les Protagoras de votre génération…


  1. (1) Comme presque tous les mots aux sonorités barbares, d'ailleurs.
  2. (2) Même si, en principe, l'anaphore est connue de toute personne étant passé en Première, que ce soit S, ES ou L.
  3. (3) D'aucuns crieront : « Vers de mirliton ! » Et je leur donne raison. Mais c'est pour l'exemple, je n'ai pas le temps d'écrire du Queneau…