Suis-je censé écrire « censé » ou « sensé » ? Peut-être est-ce une question que vous ne vous êtes jamais posé alors qu'il aurait sûrement été sensé de le faire.

« Étrange, il utilise les deux orthographes dans sa phrase, serait-ce une erreur non notée par les censeurs pourtant très sérieux d'omnilogie.fr ? »
Eh bien non, figurez-vous que ces deux orthographes sont correctes, mais ne s'utilisent pas dans le même contexte.

  • Censé ~ supposé
    On écrit censé avec un c dans l'expression être censé faire quelque chose qui signifie “être supposé le faire” : « Censé » est toujours suivi d'un infinitif(1).

    Exemples :

    • Nul n'est censé ignorer la loi.
    • Leur devis était censé arriver aujourd'hui.
  • Sensé ~ réfléchi
    On écrit sensé avec un s quand il s'agit de l'adjectif qui signifie qui a du bon sens, qui est réfléchi(2).

    Exemples :

    • Un homme sensé n'aurait pas agi ainsi.
    • Ces paroles sensées me rassurent.

Le terme “censé” vient de cens qui était le montant de l'impôt que devait payer un individu : d'abord la redevance due chaque année au seigneur du fief, puis le montant de l'impôt que devait payer une personne pour être électeur ou éligible. C'était en fait le cas aux premiers temps de la République où le suffrage censitaire(3) consistait à ne permettre qu'à une petite élite fortunée d'accéder au vote, puis à une minorité encore plus restreinte (les plus riches) à la fonction politique.

Le terme « censé », qui signifie au début du XVIIe “classé”, “rangé dans une catégorie”, “répertorié”, “estimé”, “évalué” , est le participe passé d'un ancien verbe français, « censer », qui signifiait “censurer”, “réformer” (4).

Au Moyen-Âge donc, le cens du seigneur (l'impôt) et la censure catholique (l'interdiction morale) étaient bien distincts, dérivant respectivement de deux termes latins : censere ( “évaluer la fortune et le rang”, “recenser” ) et censura ( “jugement”, “examen” )(5). Mais au fil du temps, le verbe latin classique censere prit sa connotation naturelle de juger, estimer. Et le verbe d'ancien français “censer” (qui signifiait « censurer, réformer ») reprit donc le sens premier de la « censura », en se détachant pour le coup de la dimension catholique de la « censure » – l'interdiction morale.

Cela explique pourquoi de nos jours, celui qui est « censé » faire quelque chose est celui que l'on « juge », que l'on « estime » devoir faire quelque chose.


  1. (1) On peut s'assurer que l'on doit écrire censé si on peut le remplacer par supposé.
  2. (2) Sensé s'écrit avec un s initial tout comme sens dont il est dérivé.
  3. (3) Ce terme étant opposé au suffrage universel.
  4. (4) Sur omnilogie, l'appellation a été reprise et désigne les administrateurs qui peuvent modifier les articles.
  5. (5) Or, l'origine latine est en réalité la même, puisque le « cens » était la somme que devait déclarer les citoyens de l'Empire Romain devant le Magistrat, le « censeur », qui avait la charge de « censere », c'est-à-dire de « recenser » (d'où le terme de « recensement », d'ailleurs) et qui rendait un jugement, la « censura ».