Berlin, capitale du Troisième Reich, fut copieusement bombardée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui laissa la ville complètement en ruine. Pourtant c'est bien plus tôt au cours de cette guerre que Berlin reçut sa première bombe…

Cela fait partie des petites histoires dans la grande. De ces anecdotes historiques qui n'ont pas changé le cours de la guerre mais qui ont marqué les esprits en leur temps. Nous sommes la nuit du 7 juin 1940(1) au dessus d'une Berlin insouciante, qui se croyant à l'abri des avions alliés, n'a même pas établi de couvre-feu. Une aubaine pour un bombardier solitaire qui déverse sur les usines de la ville sa cargaison de bombes. Le temps que la Flak (D.C.A.) réagisse, le mystérieux avion est déjà loin. Au final le raid ne fit que peu de dégâts, mais la complète surprise de cette attaque marqua les esprits. Mais d'où venait cet appareil ?

Aussi étrange que cela puisse paraître : de France. Les fidèles lecteurs d'Omnilogie savent déjà que l'aviation militaire française a laissé peu de traces de ses exploits pendant la Bataille de France. L'état de la situation en mai-juin 1940 étant assez désespéré, toute l'aviation française concentrait ses efforts sur le front ouest pour retarder l'avancée allemande. Toute ? Non ! Car la Marine nationale française(2) avait réquisitionné en 1939 trois Farman 223-4, avions de ligne long-courriers d'Air France, qu'elle convertit en bombardiers à long rayon d'action(3). Les trois avions menèrent diverses missions dont la plus connue restera le raid du Jules Verne sur Berlin.

Il s'agissait d'une mission préparée dans le plus grand secret, destinée essentiellement à marquer les esprits allemands et à remonter le moral des troupes françaises alors en grandes difficultés. L'après-midi du 7 juin 1940, le commandant Daillière et son équipage décollent de Bordeaux à bord de leur Farman 223-4 Jules Verne chargé de 2 800 kilos de bombes et avec le plein de kérosène. Ils volent d'abord plein nord pour rejoindre la Manche, puis suivent les côtes, survolent le Danemark de nuit, et enfin obliquent plein sud sur Berlin. La ville toute éclairée est facile à trouver et les Allemands sont si insouciants qu'ils prennent d'abord le Jules Verne pour un des leurs… Jusqu'à ce que celui-ci lâche son colis sur les usines de la ville et s'en retourne en France par le chemin le plus court (au dessus de l'Allemagne). Le Jules Verne se posa à Orly au petit matin du 8 juin sans avoir été vraiment inquiété durant les 14 h de vol que dura sa mission.

Les journaux de l'époque embelliront un peu l'exploit en parlant de véritables « formation de bombardiers », autant pour remonter le moral des troupes, que pour tromper l'ennemi. Le Jules Verne, quant à lui, effectuera d'autres mission au dessus de l'Allemagne et de l'Italie jusqu'à l'armistice du 22 juin qui le clouera définitivement au sol. L'occupation allemande chassera vite des mémoires l'exploit du Jules Verne qui sera détruit par un incendie à Marignane en novembre 1942. Triste fin pour un héros méconnu.

Cette histoire vous en rappelle une autre ? Eh oui, bien sûr : le raid de Doolittle sur Tokyo le 18 avril 1942, le premier bombardement américain sur l'archipel nippon par 16 bombardiers B-25 Mitchell décollant du porte-avions USS Hornet. Le raid dirigé par le lieutenant-colonel Doolittle n'occasionna que des dégâts mineurs sur Tokyo, mais il marqua profondément les Japonais qui croyaient leur archipel inatteignable. Toutes proportions gardées, le raid du Jules Verne et celui de Doolittle se ressemblent beaucoup, en cela qu'ils surprirent tous deux l'ennemi et que leur impact fut surtout psychologique. Néanmoins l'histoire du Jules Verne est moins célèbre, peut-être que cet article contribuera à la faire mieux connaître(4).


  1. (1) Petit recalage historique : le 7 juin 1940, la Bataille de France fait encore rage. Le 13 mai la percée de Sedan a permis aux armées allemandes d'envahir le nord de la France. Celles-ci progressent régulièrement malgré la résistance des armées françaises qui espèrent encore pouvoir les arrêter derrière la Somme. Tout espoir n'est pas encore perdu au 7 juin 1940.
  2. (2) C'est donc à l'aéronavale qu'il faut créditer le premier bombardement de Berlin. Pour la petite histoire, la R.A.F. tenta d'accomplir le même exploit en septembre 1940, mais le raid fut hélas un désastre.
  3. (3) Si la France manquait de chasseurs modernes à son entrée en guerre, le manque en bombardiers modernes était encore plus patent, d'où la conversion en urgence d'avions civils.
  4. (4) Omnilogie n'a pas les moyens hollywoodiens de Scorsese, qui a largement contribué à diffuser l'histoire du raid de Doolittle grâce son film The Aviator (2004), mais qui sait ?