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Nous avons laissé la Garonne courir au pied des Pyrénées. Et maintenant ? Du Piémont jusqu'à Toulouse elle traverse des plaines céréalières. Elle y perdra peu à peu sa transparence.

Elle a passé Saint-Gaudens. À Cazères elle est encore gris bleuté, claire.

Cazères-sur-Garonne

Mais les cultures traitées vont la colorer. Un cours d'eau s'opacifie par la présence de corps en suspens. L'orage par exemple érode les sols : le flot devient trouble. C'est la turbidité. Les colloïdes diffus empêchent la transparence.
En fait une rivière se teint par pollution agricole ou industrielle. L'arrachage des haies accroît le ruissellement sur herbages ou sur les champs que les pesticides compactent. Les eaux sont salies. En arrosant ces plaines le fleuve s'alourdit d'engrais, directement ou par ses affluents. Pour se peindre, notre ondine bucolique reçoit une jolie palette NPK (azote, phosphore, potassium). Vous savez, ces granulés dont fleure la campagne. Plus les blés sont d'un vert éclatant plus ils sont gavés d'azote.
La Garonne se colore en amont de Toulouse. Les maïs(1) réclament un arrosage intense. Cette irrigation consomme énormément… Il y a donc perte d'eau mais retour d'engrais.

Le parc industriel du Sud-Ouest borde la Garonne. Ses usines absorbent et recrachent 86 % des eaux pompées après avoir retenu les deux tiers des boues et éliminé la moitié des toxiques. L'eau sale restituée, la Garonne la digère(2). Agroalimentaire, chimie, pâte à papier : de quoi faire. Oublions ses deux piles atomiques(3), non polluantes ; et ajoutons ses quatre villes industrielles (Saint-Gaudens, Toulouse, Agen, Bordeaux) avec leurs rejets.
En arrivant à Toulouse elle est déjà souillée mais son débit la protège. À Toulouse sa turbidité augmente par la pollution urbaine. Elle gagne ce bleu-vert légèrement jaune :

la Garonne à Toulouse

Mais la pollution diminue : l'Agence de l'eau veille, les ménages gaspillent moins, les usines font faillite.

Entre Toulouse et Agen nombreuses cultures fruitières. Celles-ci ne requièrent d'engrais que sur un sol pauvre. Les alluvions devraient donc aider le fleuve, mais Agen est la ville la plus polluée d'Aquitaine (gaz, particules fines) et les eaux trinquent aussi par pollution atmosphérique.
Cela dit, d'où viennent les variations de couleur ? Pourquoi sous une même lumière le bleu clair domine-t-il ici, là le bleu plus foncé, et ailleurs le vert ? La pollution n'explique pas tout, mais je n'ai pas la réponse.
La voici, belle et agreste, à mi-distance de Toulouse et d'Agen :
la Garonne à Boudou

Un fleuve peut-il faire une indigestion ?
Quand nous bâfrons nous finissons par vomir. Nous quittâmes la Mesure pour choir en Hybris(4), source de tous les maux. « Le SAMU ! Appelle le SAMU, je meurs ! »
« Une rivière, direz-vous, ne saurait souffrir d'indigestion. »
Hé si. Un cours d'eau chargé de matières se densifie et accroît sa force d'érosion et de transport des solides. Il est gavé. Encore un peu plus et il s'asphyxie. C'est l'eutrophisation.

Peut-être avez-vous sur les côtes bretonnes joué aux batailles de boules de neige verte : laitues molles, délicieusement fluo – eutrophisation. Ces algues transmutent lisiers et pesticides. Dévorent notre orgie phosphorique et nitreuse, combattent la mort des eaux. Prolifèrent au grand dam de touristes qui ne savent pas s'adapter et jouer avec elles ; et les pays et riverains conspuent un effet dont ils sont cause. Une rivière eutrophe est si lourde de colloïdes que seuls les rayons lumineux jaunes la pénètrent. Elle jaunit. Elle dépérit.

Eaux saines, et eaux eutrophes

Hormis quelques soucis ponctuels, la Garonne y échappe. Enfin les accidents sont rares ; dus surtout aux micropolluants, matières toxiques dont la très faible présence dans l'eau (ng ou µg par litre) peut corrompre un milieu. Tels les pesticides, benzènes et gélatines, métaux lourds. Ainsi en 1986 un rejet de cadmium dans le Lot empoisonne la Garonne : poissons mourants, huîtres contaminées.

Cependant l'Agence de l'Eau, ces dernières années, a considérablement assaini le fleuve et ses affluents. Malgré de nouvelles alarmes comme la pollution médicamenteuse qui, vu le nombre de molécules impliquées, échappe aux traitements.

Aux deux tiers de cette croisière en demi-teinte il nous reste à rencontrer une jolie châtaine. Dans la ville de Montaigne, Montesquieu et Mauriac.


  1. (1) Un demi-million d'hectares.
  2. (2) Ce qui fait quand même à Bordeaux, chaque jour : 5 t de phosphore, 10 t d'azote, 57 t de boues, et 62 t de matières oxydables
  3. (3) 1) Golfech, Agenais ; 2) CN du Blayais, sur l'estuaire.
  4. (4) La Démesure, que les anciens Grecs abhorraient par-dessus tout.

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