Que ce soit avec les femmes, avec les rois ou avec le peuple : qui veut régner doit plaire.

— Frédéric Mistral

Singulière question, qui est pourtant à la source de toute politique : Louis XIV était-il beau ?
Homère déjà encensait la beauté de ses héros, qu'il s'agisse d'Achille ou d'Hector. Aristote fit de même, et Napoléon Bonaparte déploiera des trésors d'imagination pour convaincre ses citoyens qu'il était… beau. C'est important, car la représentation du Roi est partout : sur les monnaies, les portraits officiels et officieux, les monuments…

Après tout, il est facile d'imaginer que seuls les hommes bien faits peuvent commander. Il suffit de lire Volaire pour comprendre à quel point le roi devait être beau :

Louis XIV était, comme on le sait, le plus bel homme et le mieux fait de son royaume. C'était lui que Racine désignait dans Bérénice par ces vers :

Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître
Le monde en le voyant eût reconnu son maître

[… ] Tous les hommes l'admiraient, et toutes les femmes soupiraient pour lui.

— Œuvres complètes de Voltaire

Quel flamme ! François de Bretagne vante lui aussi le jeune roi lors de son accession au trône :

Sire, ce qu'on voit dans vos yeux
Et ce beau feu qui les enflamme
Trouble les sens, interdit l'âme
De qui veut imiter le Miracle des Cieux

— Panégyrique de Louis XIV de François de Bretagne

Mais comment distinguer les flatteries, les flagorneries, de l'aveuglement au pouvoir ou de la crainte ? Des observateurs impartiaux s'imposent.

Gian Lorenzo Bernini, artiste de renom, surnommé le second Michel-Ange par ses pairs, est de passage en France en 1665. Son opinion du physique du Roi Soleil est moins élogieuse :

Il a la moitié de la bouche d'une façon, et l'autre de l'autre, un œil différent aussi et même les joues différentes.

— Journal du voyage en France du cavalier Bernin

Primi Visconti, comte de Saint-Mayol, écrivain italien et chroniqueur de la vie à la Cour, admet que le souverain possède des yeux vifs, espiègles et voluptueux (probablement car l'intelligence acérée du Roi brille à travers). Mais il le dit directement :

Le Roi n'est pas beau. [Son] visage est marqué par la petite vérole.

La petite vérole ? Cette maladie qui laisse des cicatrices béantes à même la peau ? Cette imperfection est scrupuleusement effacée de tous les tableaux du roi. De plus, le roi est chauve dès vingt ans suite à une fièvre typhoïde.

Voilà qui vérifie l'adage : le roi est beau, parce qu'il est le roi. Pourquoi chercher plus loin ?