Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d'Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. Il portait un binocle, une petite barbiche noire, et il était employé de troisième classe au ministère de l'Enregistrement.

— Le Passe-muraille, Marcel Aymé

S'il faut reconnaître une qualité aux petits enfants, c'est qu'ils ne considérent rien pour acquis. Donnez-leur un grand récipient, un petit récipient et ils essaieront de mettre l'un dans l'autre et l'autre dans l'un, sans a priori sur la physique.

Avec le temps, on optimise mieux sa gestion d'énergie et on arrête d'effectuer des gestes inutiles lorsque l'on peut mettre son cerveau à contribution – mais il est dommage de perdre son âme curieuse.
En lisant la nouvelle citée ci-dessus, on peut effectivement se demander – pourquoi ne peut-on pas passer à travers un mur ? Cette question est d'autant plus pertinente dès lors que l'on sait que 99 % de la matière (y compris de la matière solide) est constituée de vide : on devrait donc pouvoir traverser le mur, et même voir à travers !

Effectivement, les atomes de notre main devraient pouvoir passer à travers les atomes du mur puisqu'ils n'ont statistiquement aucune chance de se heurter noyau contre noyau.
Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? La faute à l'électro-magnétisme. De la même façon qu'on a beaucoup de mal à coller ensemble deux aimants sur le même pôle, les électrons de nos atomes (chargés négativement) se repoussent. Pris individuellement, la valeur de répulsion n'est rien ou presque ; mais multipliée par le nombre d'atomes composant notre main et le mur, cette force devient énorme et infranchissable.

Problème résolu ? Pas forcément. À toute petite échelle, il existe un phénomène, nommé effet tunnel, qui permet à une particule de franchir une barrière de potentiel (un mur)(1)(2).

Effet tunnel

Si c'est possible pour une particule, cela devrait être possible pour les milliards qui nous composent ? Théoriquement parlant, oui (même si on maîtrise mal les mécanismes permettant de quitter l'extrêmement petit pour rejoindre nos échelles). Mais la probabilité pour une particule de « sauter un mur » est faible, et il faut la multiplier par le nombre d'atomes composant notre corps (beaucoup). La probabilité devient de plus en plus faible pour finir quasiment nulle : à l'échelle de l'univers, il y a peut-être eu un unique cas de passe-muraille… et cela n'a marché qu'une fois(3)(4).

Depuis que j'ai appris cela, chaque matin je cours contre un mur. Qui sait ? Un jour, peut-être…


  1. (1) La réalité est plus complexe : la particule est associée à une fonction d'onde continue (mais si, Schrödinger !) et a donc une probabilité non nulle de franchir la barrière – ou plus exactement, de se téléporter de l'autre côté de la barrière.
  2. (2) Ce phénomène est souvent utilisé pour l'électronique des petites échelles, les transistors par exemple.
  3. (3) Sans parler des possibilités bien plus probables où une seule partie de la main a traversée, voire où les atomes ne se sont pas remis dans la même orientation.
  4. (4) Il est important de noter que cet article est une immense simplification de processus complexes se déroulant à l'échelle quantique, mal maîtrisés par l'auteur de l'article mais aussi par l'intégralité de la communauté scientifique qui continue de se poser des questions sur l'origine de ces phénomènes.