I've tried to laugh about it
Hiding the tears in my eyes
Because boys don't cry

— Robert Smith

Il se trouvera toujours quelqu'un pour expliquer à un petit garçon qu'il doit apprendre à ravaler ses larmes parce qu'il est précisément un petit garçon.

Nul ne peut ignorer complètement ce type de code social, d'autant qu'il est très ancien. Il est formulé avec énergie dès La République de Platon, l'un des premiers textes déployant un projet éducatif construit.

Nous aurons donc raison d'ôter les lamentations aux hommes illustres, de les laisser aux femmes, et encore, aux femmes ordinaires et aux hommes lâches [… ]

— Platon

La cause paraît entendue : pourtant, cette préconisation apparaît à l'occasion d'une discussion plus large sur la place réservée à l'épopée dans le programme éducatif, qui aboutit à la disposition suivante : pour continuer à être considérée comme base de l'enseignement dans la cité idéale de La République, la poésie homérique devra être expurgée. Seront retranchés, en particulier, tous les vers où les héros expriment leur détresse en versant des torrents de larmes. Un tel exemple est désormais considéré comme foncièrement dévirilisant.

Au contraire, au moment où l'Iliade et l'Odyssée furent composées, les pleurs des héros épiques n'étaient pas considérés comme honteux : Achille, le meilleur des Achéens, se lamente longuement et bruyamment sur la mort de Patrocle. Ulysse, captif chez Calypso, pleure face à la mer un retour toujours différé. Tant d'autres exemples encore, au point que même les dieux, Zeus et Arès, pleurent leurs fils mortels fauchés au combat.

Pourquoi l'expression masculine de la douleur, jugée naturelle à l'époque archaïque, est considérée comme particulièrement infamante quelques siècles plus tard(1) ? Certains commentateurs soutiennent que c'est lorsque les Grecs eurent perdu tout à fait le sens de l'héroïsme qu'ils commencèrent à avoir honte de leurs larmes.
Explication peut-être en partie hasardeuse mais qui, à travers cet exemple précis, aide à envisager la norme sociale pour ce qu'elle est également : le résultat d'une construction historique.


  1. (1) Ce n'est pas seulement chez Platon mais aussi dans la tragédie classique que larmes et lâcheté sont ressenties comme allant de pair, au contraire de ce que l'on observe dans la poésie homérique.