Une fois n'est pas coutume, le fidèle lecteur omnilogiste n'en voudra pas au rédacteur de reprendre un article déjà paru, le complétant (exceptionnellement très longuement), espérant en faire un article de référence, et essayant au passage de tordre le cou à une médisance reprise au fil du temps après qu'elle ne fut extrapolée…

« Tout le monde y peut pas être de Lyon, y en faut bien d'un peu partout » prétend la plaisante sagesse lyonnaise.

Lyonnais ou de passage à Lyon, le célèbre bouchon du tunnel de Fourvière vous laisse le temps d'apercevoir cette tour métallique, point culminant de la capitale des Gaules, qui jouxte la basilique de Fourvière.
Mais quelle est donc l'histoire de cette tour métallique, indûment attribuée à Eiffel ?

La fausse tour Eiffel de Lyon

À l'origine, se trouve depuis 1860 sur le sommet de la colline de Fourvière, sur un terrain appartenant à Pierre Gay, un observatoire sous forme de pavillon chinois,

La pagode de Fourvière

Sur la propriété « l'angélique », étant construite 12 montée des anges (anciennement « montée gratte cul ») devenue montée Nicolas de Lange. Il s'y trouve le restaurant Gay. On peut accéder à l'ensemble en gravissant la colline de Fourvière par le passage Gay… en échange de 5 centimes de francs, sur le trajet duquel on peut admirer diverses sculpture gallo romaines, et notamment à l'entrée un chien de garde avec inscription cave canem (prends garde au chien).
Voilà qui permettra à Pierre Gay de dire au cours d'un procès l'opposant à un journaliste « Moi qui suis une curiosité de la ville ! »…

Mais parlons de la tour à son origine…

Lourde de 210 tonnes d'acier (mais 145 tonnes selon le constructeur Sté Dunoyer), de 85 m de hauteur, portée par 4 piliers de béton de 4 m de côté sa base mesure 18,80 m de côté sur 10 m de haut avec des fondations de 8,50m.
Au sommet de la tour d'origine, se trouvait un réservoir de 23m3 d'eau pour le fonctionnement de l'ascenseur hydraulique Roux-Combaluzier à pistons articulés de 24 places (1m/s).
Ancrées dans 7 200 tonnes de maçonnerie, les 2 100 fermes de métal peuvent résister à une forte pression du vent (250 kg au mètre carré).
La plate forme sommitale de sept mètres par sept mètres avec un passage central de trois mètres pour l'ascenseur supportait un pavillon terminal de 10 m de haut équipé d'un phare qu'on allumait en principe pour le 8 décembre.

Les plans du projet global sont dus à Monsieur Colonge, qui s'unit avec

  • Marcel Martial PAUFIQUE, entrepreneur,
  • Eugène COLONGE, auteur du projet et architecte partie métallique chef mécanicien à l'administration de la guerre,
  • Jules BUFFAUD, ingénieur,
  • Antoine CALMEL, entrepreneur,
  • Jules PERRET, entrepreneur,
  • PATIAUD et LAGARDE pour la charpente métallique
  • COLLET pour le soubassement
  • PAUFIQUE pour le béton
  • UTSCHNEIDER et Cie pour la céramique
  • et ROUX-MEULIEN, architecte du lanternon.

Puis tout s'enchaîne très vite.
Le 11 décembre 1891, il est signé un accord entre les soussignés Mr Eugène Colonge, chef mécanicien demeurant à Lyon, quai de Vaise, no 38 D'Une part,
et Mr Georges Rusterholz et, de lui assistée et autorisée, Made Antoinette Jonard, son épouse, veuve en première noces de Mr Pierre Gay, D'autre part
portant pour la concession du terrain par les seconds au bénéfice du premier pour y construire la dame de fer, en échange de quoi le restaurant Gay à la base de la tour et la vente des cartes postale et souvenirs étaient laissé au profit de la famille Rusterholz-Gay.
La concession est officialisée le 20 décembre 1891 ; le 13 avril 1892, les statuts de la « Société anonyme de la Tour métallique de Fourvières »(1), Société anonyme de la Tour de Fourvières au capital de 278 000 francs, sont déposés. Le 28 octobre 1892, le terrain est effectivement concédé.

Les travaux, d'un montant total 300 000 francs or débutent en décembre 1892, faisant l'objet d'un article de presse le 2 janvier 1893 dans « l'express de Lyon ».

Elle sera dans un premier temps surnommée « tour avilane », après la visite le 26 octobre 1893 de l'amiral Avilan, chef d'État-major de l'escadre russe, pays avec lequel les relations sont alors au beau fixe.

Le 2 mai 1894, elle est inaugurée par le conseil d'administration de la société pour la veille de l'ouverture par MM. Paufique, Buffard, Perret, Calmel et Tournier.

Enfin, le 3 mai 1894, elle est ouverte au public le jour de l'inauguration de l'exposition universelle à Lyon dite « exposition universelle internationale et coloniale » ; les délais de construction avaient été tenus (et même un peu anticipés…) !

L'altitude au sommet était de 376 m (291 au sol + 85 mètre de hauteur) (372 m selon d'autres sources, la différence étant sans doute due aux évolutions d'équipements du sommet).
36,70 m de plus que la basilique voisine « Notre Dame de Fourvière », altitude 339,30m.
La Tour dite du Crédit Lyonnais (haute de 165m) dans le 6ème arrondissement se trouve elle à 333 m d'altitude et la récente Tour Oxygène haute de 115 m.
Une situation idéale pour être mise en valeur lors de la traditionnelle fête du 8 décembre à Lyon.

La rumeur anticléricale :
Il convient ici de faire un petit aparté ; comme plusieurs articles d'Omnilogie ont déjà pu l'aborder, certaines idées préconçues ont tendance à rester, d'autant plus sournoisement que l'erreur d'origine est ensuite au fil du temps reprise par divers intervenants…
Les discussions lyonnaises indiquent que la construction de cette tour se voulait être un acte républicain destiné à humilier le clergé, notamment en construisant un édifice plus haut que la Basilique voisine, tout juste construite.
Cependant, aucune information en ce sens contemporaine à la construction n'est découverte à ce jour, ni dans les actes de concessions, ou constitutifs de la société, ni dans les articles de presse, ni dans la tradition orale familiale…

Il faut attendre un livre de Mme Hardouin-Fuguier « La colline de Fourvière » paru en 1996 pour voir énoncé en certitude ce qui n'est qu'une extrapolation intellectuelle. Celle-ci évoque même « une souscription pour ériger ce monument », évoquant pour étayer ses dires un article du « Lyon républicain » du jeudi 3 mai 1894. Mais la consultation de cet article n'évoque pas cette souscription, pas plus que cet acte anticlérical. Ceci est d'autant plus logique que… l'article est postérieur à la construction de la tour ! Aucun autre article de presse de l'époque n'évoque ce fait non plus.

De même, le 8 décembre 1894, la tour s'illumine pour la première fois d'un phare qui rayonne sur la ville de Lyon, à l'occasion… de la fête de l'Immaculée Conception, grande fête religieuse traditionnelle de cette ville qui s'illumine dans son ensemble chaque année(2). Bel acte anticlérical s'il en est pour ses constructeurs !…
Enfin, en 1899 paraît pour 35 centimes le guide annuel « Le pèlerin de Fourvière », qui obtient un régulier succès, édité par l'abbé Huguet. Outre les renseignements religieux, il contient les horaires de tramways, voitures, funiculaires, permettant d'accéder au site, ainsi que des entrées à demi tarif à la tour métallique de Fourvières, qualifiée « d'attraction obligée de tout pèlerinage ». Là encore, on semble bien loin de la querelle énoncée par quelques contemporains.

La tour métallique de Fourvière, Lyon

Mais pourtant, divers auteurs reprendront à leur compte cette idée, sur le fondement de ce livre, et cette fausse information perdurera alors au fil des ans.

Le rédacteur est demandeur de tout information qui objectiverait l'accusation !

L'évolution au fil de l'histoire :

Le 30 novembre 1905, et 27 ans plus tôt que prévu dans l'acte de concession initial, la tour devient propriété entière de la dame Gay. Le rachat prématuré se fait pour un montant de 18 000 francs.

Le 29 décembre 1942, « l'office des fontes, fers, et aciers » manifeste auprès de la famille la volonté de réquisitionner la tour en vue de sa destruction, pour la récupération de l'acier.

Cela intervient juste après les première négociations avec l'ORTF pour récupérer ce point haut pour l'installation de l'émetteur de l'unique chaîne de télévision… Cela tombe d'autant mieux que les affaires du restaurant ne sont plus guère rentables.

Voici donc l'œuvre rachetée en septembre 1953 à la « Société de Tour métallique de Fourvières » pour 15 millions de francs (de l'époque) par l'O.R.T.F.. Y seront ajoutées tant d'autres antennes au fil du temps… après que la tour soit rachetée le 1er janvier 1975 par la nouvelle entité « Télédiffusion de France ».

Il n'est alors plus question de monter au sommet de la tour, de laquelle ont disparu restaurant et ascenseur 24 places, remplacé par celui de 4 places plus moderne, à l'usage des techniciens.

Et les malicieux lyonnais rappellent « qu'elle est plus haute que la Tour Eiffel ».
Ha, cette légendaire bonne foi des lyonnais…

La tour de Lyon

Damien Bacconnier


  1. (1) Dans tous les premiers documents relatifs à la tour métallique, Fourvières est bien rédigé avec un « s » final.
  2. (2) Ce qui justifiera la création d'une carte postale pour commémorer l'événement.