Des mesures d'austérité draconiennes, un régime et un entraînement draconiens
Le mot est resté vivant bien qu'il s'inspire d'un trait d'histoire ancienne : la sévérité légendaire de Dracon, que les sources littéraires nous présentent comme le premier législateur d'Athènes au VIIe siècle avant J.-C.
Mais qu'avaient de si mémorable les codifications de Dracon pour avoir été ressenties par la postérité comme rigoureuses jusqu'à l'aberration ?

La réponse se trouve dans un chapitre de la Vie de Solon de Plutarque. Apparemment peu porté sur la chicane et les subtilités juridiques, Dracon aurait opté pour une solution franche et carrée. Toute infraction à la loi, de quelque nature qu'elle ait été, était punie de mort : le vol de fruits à l'étalage et le refus de travailler tout aussi bien que le sacrilège ou le crime de sang. Cette inflexibilité sans discernement valut à sa Constitution la réputation d'avoir été rédigée en lettres de sang.

S'il s'agit bien là de l'origine de l'adjectif draconien, les historiens envisagent pourtant le témoignage de Plutarque avec circonspection. Tout au plus concèdent-ils que la législation de Dracon accordait probablement une place importante aux châtiments réservés aux crimes de sang, ceci afin de mettre un terme au cycle sans fin de la vengeance privée, encore très répandue dans la Grèce archaïque. Ils considèrent avec davantage d'intérêt un passage de la Constitution d'Athènes d'Aristote(1) où Dracon est crédité de la création d'une législation qui, pour la première fois, donnait des droits politiques au dèmos (peuple) des hoplites (c'est-à-dire les soldats d'infanterie lourde).

Il faut expliquer brièvement ce que cette information implique : à l'origine, les armées des cités grecques étaient composées presque exclusivement de soldats issus des classes aristocratiques. Mais comme les cités gagnaient en importance et avaient besoin d'être davantage protégées, les armées durent élargir leur vivier de recrutement en incorporant des soldats venus d'autres classes sociales (c'est ce que l'on a appelé la révolution hoplitique). Après une victoire militaire, l'usage voulait que le butin et les captifs soient équitablement partagés entre les soldats, sans considération de caste. Naturellement, les hoplites issus du dèmos finirent par revendiquer en temps de paix les mêmes droits que ceux qui leur étaient accordés sur le champ de bataille, contestant ainsi à l'aristocratie l'occupation exclusive de la sphère politique. À Athènes, cette tension devint si vive que, pour éviter la guerre civile et la tyrannie, l'établissement de législations devint indispensable, celles-ci conduisant à terme à l'égalité politique et à la démocratie. Si c'est surtout au législateur Solon qu'il revint de faire franchir à Athènes ce pas décisif, Dracon, son prédécesseur immédiat, aurait néanmoins déjà amorcé ce mouvement, si l'on en croit tout du moins le témoignage de la Constitution d'Athènes. Ce qui, convenons-en, nous éloigne beaucoup de l'image de l'intraitable contempteur des fautes les plus dérisoires dont la langue usuelle a pourtant conservé le souvenir.


  1. (1) Ceci dit, le témoignage de la Constitution d Athènes, attribuée par commodité à Aristote parce qu'elle a été rédigée au sein de son école, est également considéré comme peu fiable par les historiens puisqu'il s'agit d'une compilation de documents reconstitués. Il retient néanmoins davantage leur attention que la biographie de Plutarque.