Aujourd'hui, un peu d'histoire au programme. Un récent séjour à Calais m'a fait découvrir un événement peu impressionnant en lui-même mais qui a eu des répercussions sur toute une époque : la bataille de Gravelines.

L'histoire commence en 1585, dans un contexte de tensions très fortes entre l'Angleterre et l'Espagne. L'Angleterre vient de signer avec la République des Provinces Unies(1) le traité de Sans-Pareil qui acte le soutien économique et militaire de l'Angleterre aux Provinces-Unies dans leur guerre contre l'Espagne.

Trois ans plus tard, en mai 1588, plus de cent trente navires de la Grande y Felicisima Armada appareillent de Lisbonne, sous les ordres du Duc de Medina Sidonia, vétéran de l'armée de terre mais complètement novice en mer, remplaçant le très expérimenté Marquis de Santa Cruz, décédé prématurément. À leur bord une dizaine de milliers de marins et près de vingts mille soldats, à destination de l'Angleterre. Ils doivent faire une halte dans les Pays-Bas espagnols pour embarquer trente mille soldats aguerris du général Alexandre Farnèse, avant de se lancer dans l'invasion de l'Angleterre.

Duc de Medina Sidonia

Quelques escarmouches ont lieu à partir du 20 juillet entre les marines britanniques et espagnoles, notamment entre Portland et l'île de Wight, mais sans conséquences particulières. Elles mettent seulement en avant ce qui était alors supposé : la marine britannique est plus légère, plus maniable, dispose de meilleurs canons(2), mais se fera broyer sous la puissance et le nombre espagnol si un combat rapproché devait avoir lieu.

La flotte espagnole mouille alors le 27 juillet devant le port de Calais. Le Duc de Medina Sidonia apprend alors que les hommes du Duc de Parme qu'il doit embarquer ne sont plus que seize mille à cause de maladies, et qu'il leur faudra au moins six jours pour embarquer à cause du manque de certains matériels.

Dans la nuit du 28 juillet, les Britanniques envoyèrent huit navires transformés en brûlots au milieu de la flotte espagnole au mouillage. Les navires espagnols rompirent leurs amarres pour éviter, avec succès, d'être incendiés, mais se retrouvèrent complètement désorganisés, pris dans un puissant vent de sud-ouest. Le Duc de Medina Sidonia décida alors de tenter de se réorganiser devant Gravelines, alors sous contrôle des Pays-Bas espagnols.

S'ensuivit une journée de bataille entre la flotte britannique et la flotte espagnole, coincée à l'est par les hauts-fonds des Flandres, dont les Néerlandais du Nord avaient enlevé le balisage. Grâce à leur manœuvrabilité supérieure, les Britanniques restèrent quasiment en permanence hors de portée de la puissance espagnole, tout en provoquant des dommages superficiels aux navires adverses.

À court de munitions, les Anglais se retirèrent en ayant seulement coulé ou capturé cinq galions espagnols. Ils auront surtout empêché l'exécution du plan d'invasion espagnol. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.
À ce moment-là, l'action conjuguée des courants de la Manche et de vent de sud, et la menace de la présence de la flotte anglaise, contraignent le Duc de Médina Sidonia à ajourner le plan d'invasion et à tenter un retour hasardeux vers l'Espagne par la seule route possible : contourner l'Écosse et l'Irlande.

Trajet de l'Armada

Ne disposant pas de carte précise de la côte britannique, les navires restaient à distance importante des côtes dans la relative sécurité de la haute mer. Comme il n'existait à ce moment pas de moyen de mesurer la longitude, il ne se rendirent pas compte que le Gulf Stream les freinait dans leur contournement par l'ouest de l'Irlande. En septembre 1588, lorsqu'ils virèrent au sud, les navires espagnols usés, les marins fatigués, furent pris dans une série de tempêtes à proximité des côtes irlandaises.

Destruction de La Girona

On sait qu'une vingtaine de navire s'écrasèrent sur les rochers, et on estime qu'au cours de ce désastreux retour, les Espagnols perdirent une trentaine d'autres navires à cause de pirates, ou d'erreurs de navigation. Plus de cinq milles marins périrent sur ces côtes rocheuses ou achevés par les Irlandais en atteignant la plage.

Cette destruction de la moitié de l'Invincible Armada due autant à la malchance qu'à l'inexpérience du Duc de Medina Sidonia marque le commencement d'un changement de rapport de force en Europe : les Espagnols perdirent dans les trente années qui suivirent la domination des mers au profit de la Royal Navy.


  1. (1) Aussi appelée « Pays-Bas du Nord », même si dans les faits elle correspond géographiquement plutôt bien aux Pays-Bas actuels.
  2. (2) Les toutes récentes couleuvrines.