Avis au lecteur Dans le cadre d'une série d'articles sur l'unfication du Japon, dont vous retrouverez le triptyque traitant des différentes capitales de cette époque disséminé sur le site, je souhaite également m'intéresser à trois grandes figures, que les lecteurs les plus férus d'histoire nippone connaissent déjà, dans un autre triptyque(1). Fin de l'avis au lecteur

Aristote nous dit qu'un tout est constitué d'un commencement, d'un milieu et d'une fin. Le commencent de l'unification du Japon est figurée par l'un des individus d'exception qu'a connu la race humaine : Oda Nobunaga(2).

Né le 23 juin 1534 selon notre calendrier, rien ne laissait croire à l'origine qu'Oda Nobunaga serait une figure primordiale de l'histoire du Japon. Fils d'un daimyo local et relativement modeste, il est aussi en tête sur la liste des héritiers d'Oda Nobuhide car premier fils légitime. Dès son enfance Nobunaga montre un caractère insolent et indépendant qu'il cultivera par la suite et emploiera afin de se défaire du poids de la hiérarchie politique et militaire pour finalement prendre la tête du pays.

Traité d'imbécile par ses proches, il commet de nombreuses erreurs protocolaires, notamment lors des funérailles de son père, qui amèneront son mentor à se suicider. Le seppuku de son précepteur(3) le suivra tant et si bien que Nobunaga lui-même mourra de cette manière en 1582 lors de sa dernière campagne. Mais nous verrons cela plus tard.

Nobunaga n'est pas très populaire auprès du clan Oda et de ses affiliés. Son caractère bien trempé et parfaitement incorrect ne font pas de lui le favori dans les foyers du clan. Son frère et rival Noboyuki a la préférence. Mais Nobunaga est destiné, par le sang, à régner. Après la mort de son père il prend la tête du clan contre le goût de nombreux vassaux et alliés. Mais si Nobunaga se trouve des ennemis, il prend pour habitude de s'en débarrasser. C'est ainsi que, faisant preuve d'une cruauté sans égale(4), il assassine, par le moyen de pièges et d'alliances, tous ceux qui s'opposent à lui. Son frère, qui fait partie de ses ennemis, sera assassiné alors qu'il s'apprêtait à lancer un assaut contre la forteresse qu'il convoitait.

Le chef du clan Oda, assuré sur ses terres de son pouvoir, entame une campagne afin de les étendre. Il prend pour habitude de vaincre les ennemis qui le défient sur le champ de bataille par des traquenards minutieusement préparés. Les alliances militaires et politiques lui permettent de grossir son territoire de plus en plus et ses compétences guerrières hors du commun lui assurent de nombreuses victoires. Ce qui lui a valu d'asseoir son contrôle de la région dont il a hérité lui permet également de s'imposer dans les régions alentours.

Mais Nobunaga voit plus loin. Il souhaite marcher sur Kyoto, le siège du pouvoir en place, et dominer le clan Ashikaga à la tête de l'Empire afin de prendre le contrôle du pays. En 1560, Imagawa Yoshimoto convoite la même chose. Les deux hommes vont devoir s'opposer, mais l'armée de Nobunaga est presque dix fois inférieure à celle de son rival assisté du clan Matsudaira. Alors qu'Imagawa marche sur Kyoto, Nobunaga frappe. Favorisé par la météo orageuse il attaque les troupes de son ennemi par derrière et tue ce dernier, garantissant la victoire pour ses hommes en une bataille éclair qui ne dure que quelques minutes. À partir de ce moment le nom de Nobunaga acquiert une réputation dans tout le pays. Affaiblies par la perte de leur chef les troupes adverses se détériorent et l'alliance avec les Mastudaira n'a plus lieu d'être. Nobunaga s'assure alors l'allégeance de ses rivaux et s'entoure de leurs têtes de file dont un certain Tokugawa Ieyasu.

Dès lors, Nobunaga ne cache plus ses ambitions sur l'ensemble du territoire, notamment en modifiant son sceau pour en faire un symbole qui signifie « Couvre ce qui est sous le ciel avec l'épée », reprenant ainsi une expression employée par les chinois voulant que l'Empereur est le maître de « Tout ce qui est sous le ciel ». Il rapproche son territoire des frontières de Kyoto, en employant toujours aussi finement ses victoires et ses alliances politiques et, dès 1568, il est prêt à marcher sur la ville.

La marche de conquête de Nobunaga voit arriver un événement heureux. Ashikaga Yoshiaki, qui souhaite renverser l'Empereur actuel, vient demander son aide à Oda Nobunaga. Ce dernier accepte. Les batailles se succèdent, la puissance des troupes alliées écrasant les adversaires de Yoshiaki qui lui barrent la route de Kyoto. Nobunaga assiège la ville et organise la chute du souverain. Il installe Yoshiaki à sa place, gardant secrètement l'espoir de le déloger à son tour pour devenir maître de tout le pays(5). Il reste aux côtés du nouveau dirigeant et s'investit de plus en plus dans les affaires du pays, écartant du pouvoir Yoshiaki qui en fait son shogun mais voit ses ambitions d'un mauvais œil.

Les années suivantes voient le souverain légitime forger des alliances avec les clans qui n'aiment pas plus Nobunaga que lui et qui souhaitent accéder au pouvoir à leur façon. Nobunaga se trouve confronté non seulement à des adversaires redoutables qui le défont plusieurs fois sur le terrain de la guerre, puis plus tard à Yoshiaki lui-même qui s'oppose ouvertement au clan Oda. Nobunaga ne peut pas se laisser faire et part de nouveau en campagne, n'hésitant pas, pour conquérir le pouvoir, à massacrer les civils et à détruire les symboles du pays. Nobunaga rappelle son insolence d'enfant en foulant aux pieds les habitudes guerrières du Japon. Ses stratégies à la fois radicales et ingénieuses et l'utilisation qu'il fait des armes modernes(6) lui donnent l'avantage sur le champ de bataille et ses opposants, bien que nombreux, sont forcés de s'incliner devant lui, pour peu qu'ils survivent car Nobunaga ne laisse que peu des témoins l'ayant défié.

Par le jeu de la guerre, Nobunaga se rend maître de presque tout le Japon. La dynastie des anciens Empereurs Ashikaga n'est plus(7), les territoires sont annexés et fermement contrôlés et le souverain favorise non seulement le développement de l'économie et de l'industrie de son pays mais flatte aussi ses vassaux. Toujours méritocratique, il ne récompense pas le nom mais les qualités individuelles en installant à des postes de commandement les meilleurs et non les héritiers ou les « fils de ». C'est ainsi qu'il s'entoure notamment des futurs Tokugawa Ieyasu et Toyotomi Hideyoshi. Il souhaite pourtant étendre un peu plus son territoire et envoie son fidèle allié Toyotomi Hideoyoshi à la conquête du Shikoku, l'une des quatre grandes îles du Japon, alors sous le contrôle du clan Mori.

En 1582, Nobunaga est prié d'apporter son aide à Hideyoshi qui a organisé un siège devant le château de Mori(8). Alors qu'il est dans un temple en territoire contrôlé, le chef suprême du pays essuie une embuscade conduite par un allié du nom de Akechi Mitsuhide. Nobunaga est encerclé dans ses propres terres et forcé d'opter pour le seppuku sous les injonctions du traître.

Oda Nobunaga laisse derrière lui la mémoire d'un grand homme parvenu à unifier le pays sous son joug alors qu'il n'était destiné qu'à être daimyo. D'autre part il laisse impuni le crime d'un traître dans les rangs de son armée, Akechi Mitsuhide, mais également deux grands généraux qui vont perpétuer son rêve de contrôle, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu.


  1. (1) Dans un souci de clarté je ne traiterai pas ces différents articles du point de vue chronologique et biographique. L'abondance de patronymes japonais est, à mon goût, peu intéressante pour les lecteurs non-initiés et les différents éléments biographiques pas toujours essentiels. Je traiterai donc de chaque individu de façon tout à fait subjective mais juste dans le but de montrer pourquoi et comment chaque personnalité fait partie d'une longue série sur l'unfication du pays nippon.
  2. (2) Remarque générale sur la série d'article : le lecteur aura peut être eu la surprise de lire que les noms japonais s'écrivent de manière inverse à la nôtre, à savoir nom de famille suivi de prénom. Traditionnellement, au Japon, il faut savoir que cette façon de dénommer quelqu'un est l'usage normal.
  3. (3) Pratique consistant à se suicider dans l'honneur pour réparer une faute commise par soi ou par l'un de ses proches.
  4. (4) Qui lui vaudra plus tard le surnom de « Roi Démon ».
  5. (5) Oda Nobunaga ne peut pas devenir Empereur, l'accession au pouvoir suprême se fera de manière plus subtile : il deviendra son premier ministre et aspirera tous les pouvoirs politiques de son souverain afin d'en faire une marionnette tandis que lui-même tirera les ficelles.
  6. (6) Notamment le mousquet.
  7. (7) Nobunaga tient en otage le fils héritier du trône.
  8. (8) Certains pensent qu'Hideyoshi a en réalité organisé un piège visant à éliminer Nobunaga pour que lui-même puisse récupérer le pouvoir puisqu'il n'avait pas besoin de l'aide de son shogun pour remporter la bataille du château de Mori.

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