Pour bien comprendre l'histoire des capitales du Soleil Levant, il faut tout d'abord se remettre dans le contexte de l'époque : nous sommes en plein dans la période connue sous le nom de Japon médieval dont les tenants et aboutissants sont assez similaires à notre ère féodale : seigneurs de guerre, batailles archaïques et tentatives d'extension du territoire de chacun. L'Empereur est le seigneur des seigneurs et assiste à ces luttes de daimyo et de shogun en essayant de conserver son propre pouvoir tout relatif. Expliciter les différents acteurs de l'époque prendrait trop de temps et serait peu utile dans l'historique des villes étudiées. Retenez seulement qu'il y a un empereur et un pouvoir impérial, sous lesquels on trouve des seigneurs féodaux(1).

Nous sommes au VIIe siècle et le Japon, non unifié, reste ancré dans des croyances shintoïstes jusqu'à l'introduction par les chinois d'une nouvelle forme de religion : le bouddhisme. Ce dernier se propage dans tout le pays et forme un clergé très important mais aussi très proche de l'Empereur, résidant alors à Nagaoka-kyo. Désirant se défaire de cette influence à la fois bouddhiste et chinoise, l'empereur Kammu(2), déplace sa capitale de quelques kilomètres, à Heian-kyo(3) en 794.

Devenant capitale impériale, la ville va voir son architecture changer pour mieux convenir à son nouveau statut, provoquant l'âge d'or de la ville ainsi que l'ère Heian (794-1185). Pour respecter son vœu initial, l'empereur interdit la construction de temples bouddhistes à l'exception de Tô Ji et Sei Ji(4) mais fait tout de même bâtir les différents quartiers sur le modèle des damiers chinois afin d'impressioner ceux-ci quant à la sophistication de la cour japonaise. Les arts esthétiques se développent autour d'une société de cour raffinée.

Mais cela prend fin avec l'avènement d'une caste militaire de plus en plus puissante(5) qui décide qu'il n'y a aucune raison qu'elle n'ait pas sa part du gâteau impérial. Une guerre civile plus tard, remportée par cette caste, et le Japon voit la naissance de l'ère Kamakura (1185-1333) qui doit son nom à la ville où s'installe le pouvoir militaire. La capitale impériale reste toutefois ancrée à Heian-kyo et se voit rebaptisée Kyoto (ville capitale). La ville va développer de nombreux quartiers autour du nouvel épicentre de pouvoir de Kyoto, la résidence du représentant du pouvoir militaire. De la même manière, les nouvelles sectes religieuses(6) vont tenter d'imposer leur domination sur les âmes de la ville et bâtir de nombreux temples.

1333 voit revenir Kyoto sur le devant de la scène avec l'avènement du shogun Ashikaga Yoshimitsu qui décide de réimplanter le centre du pouvoir impérial au cœur de la ville, dans le quartier de Muromachi, qui donnera son nom à l'ère suivante (1333 à 1573). Le changement de position concomitant à la nouvelle situation du pouvoir impérial qui s'impose dans la ville suscite l'attention des architectes, car il faut que la capitale soit la plus belle ville de l'empire. Nombre de pavillons aujourd'hui célèbres seront bâtis durant cette ère tels que Kinkaku-ji et Ginkaku-ji(7), on voit apparaître les premiers jardins zen entre autres chefs-d'œuvre.

Malheureusement l'aristocratie militaire ne sait pas se tenir tranquille. La guerre Onin éclate entre 1467 et 1477(8). La guerre de dix ans va détruire Kyoto et ses beaux quartiers. Les habitants fuient. Une classe bourgeoise de riches marchands, qui voit son importance augmenter après la fuite des aristocrates, décide d'employer son argent à rebâtir la ville. Le siècle suivant la guerre d'Onin voit des batailles récurrentes se dérouler entre les seigneurs de guerre. C'est l'arrivée d'Oda Nobunaga qui va mettre fin à ces guerres et unifier le pays. Il instaure l'ère Azuchi Momoyama(9) (1573-1603).

Cette période voit renaître Kyoto suite à l'impulsion des marchands bourgeois évoqués dans le paragraphe précédent mais aussi à l'unification du pays et l'importance que Toyotomi Hideyoshi accorde à la ville. Il va la réveiller, relever les temples et les monuments et faire renaître tout le prestige disparu pendant la guerre. En 1600 le nouveau shogun Tokugawa Ieyasu déplace le centre politique et administratif à Edo, mettant fin au règne de Kyoto capitale.


  1. (1) Parmi lesquels le shogun (qui vient d'un terme signifiant « seigneur de guerre » ou « grand général »), détenteur d'un pouvoir militaire absolu similaire à celui du premier ministre actuel sur les autres seigneurs que sont les daimyo, les gouverneurs féodaux, seigneurs d'un fief. Puisque je ne suis pas fan des francisations j'emploierai dans mes articles tous ces termes sans le « s » du pluriel français.
  2. (2) Qui avait déjà fait déplacer la capitale 10 ans plus tôt pour les mêmes raisons mais Nagaoka-kyo ayant été le théâtre de catastrophes et de maladies, elle était jugée porteuse de malheurs.
  3. (3) Qui signifie « Capitale de la Paix ».
  4. (4) Le Temple de l'Est et le Temple de l'Ouest.
  5. (5) Les samurai francisés en samouraïs.
  6. (6) Jôdô Shû, Zen, …
  7. (7) Respectivement Pavillon d'Or et Pavillon d'Argent.
  8. (8) Les raisons de cette guerre ? Concrètement l'Empereur Ashikaga désespère d'avoir un héritier, il choisit d'adopter son frère, Yoshimasa pour en faire l'héritier. Problème, la femme du shogun accouche d'un garçon l'année suivante. Cette étincelle va provoquer, bien entendu, des luttes de pouvoirs pour définir qui sera l'héritier légtime. Il suffit que deux grandes dynasties rivales, les Yamana et le Hosokawa, s'en mêlent en préfèrant chacune l'un des deux héritiers pour que la guerre éclate.
  9. (9) Du nom du château d'Azuchi que possédait Nobunaga et Momoyama où Toyotomi Hideyoshi fit bâtir son dernier château.

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