Mesdames et messieurs, aujourd'hui sur Omnilogie, nous allons parler d'eau. Non, pas la voyelle chère à Rimbaud, mais bien la substance « inodore, incolore et insipide » obtenue en ouvrant votre robinet. Vous la jugez parfaitement inoffensive, n'est-ce pas ? Hélas ! Il est temps de vous révéler un des plus grands secrets de l'humanité(1) : boire, c'est bien, c'est même plutôt utile si vous souhaitez rester en vie sans ressembler à un aliment déshydraté. Mais trop boire peut être dangereux, en dehors des considérations éthyliques portant sur les connaissances de Meecky qui ont abusé du bourbon(2) et voient donc des bancs de poissons chantants.
Votre air perplexe me laisse à penser que vous ne croyez pas aux dangers de la surhydratation. Je me propose donc, et je m'empresse d'accepter, de vous expliquer quels sont les dangers de l'abus de la dive bouteille d'eau.

Commençons, si vous le voulez bien, par quelques généralités. Tout d'abord, il faut savoir qu'un humain est rempli d'eau de 50 à 60 %, les femmes contenant moins d'eau proportionnellement parlant(3).
Ensuite, sachez que nous perdons énormément d'eau avec des activités pourtant peu coûteuses en énergie : rien que respirer nous fait perdre un demi-litre par jour ! Une fois que l'on a ajouté la transpiration et la salive – pratiquement un litre –, ainsi que ce qui finit aux toilettes – un peu plus d'un litre et demi –, nous avons déjà atteint trois litres sans nous en rendre compte. Plutôt impressionnant, n'est-ce pas ?
Mais ne vous inquiétez pas, cher lecteur, nous regagnons ce que nous perdons ! En effet, l'eau apportée par les aliments, et plus particulièrement par les fruits et les légumes(4), comble déjà un litre. Et encore, tout n'est pas perdu : nous « extrayons » encore de l'eau en brûlant ces aliments, ce qui ajoute encore un demi-litre sans en avoir l'air.
« Mais voyons, on est loin du compte avec ce que tu nous racontes ! Ne te moquerais-tu pas de nous ? » Mon cher lecteur, jamais je n'oserai faire une telle chose. Mais en effet, il manque bien quelque chose : l'eau de boisson. Grâce à vos capacités de calcul mental, vous en déduisez qu'il faut donc boire au moins un litre et demi pour équilibrer le tout. Et, en effet, c'est bien l'ordre de grandeur.

Le problème, c'est de savoir jusqu'à quel point un humain peut absorber de l'eau sans conséquences sur sa santé. Le but du jeu, nous venons de le voir, est de compenser la perte d'eau. Si vous pratiquez une activité physique importante sous un soleil de plomb, vous pouvez monter à cinq litres sans trop de problème. Au-delà, ça variera selon ce qui sera excrété, mais… Là est le problème : tant que l'on transpire, que l'on peut uriner – mine de rien, on peut monter jusqu'à vingt litres d'urine par jour sans sortie du cas physiologique ! (5) –, tout va bien, les problèmes surviennent quand les apports sont supérieurs aux départs.
Ah, vous prenez un air intéressé. Je vous explique peut-être, non ? Très bien, c'est parti. Nous allons considérer une sorte de bassine, séparée en deux par une grille. L'un des compartiments sera notre compartiment extra-cellulaire – ce qui englobe la lymphe, le plasma… – et l'autre sera le compartiment intra-cellulaire – le liquide présent dans les cellules, donc. Dans chacun de ces compartiments, nous avons des ions, dont le sodium, ce qui nous donne cette superbe représentation.
Schéma avec les ions
Ici, nous sommes à l'équilibre, il y a autant d'ions d'un côté que de l'autre et le même volume(6) dans chaque compartiment, ce qui donne une concentration égale. Voyons ce qui se passe si on boit de l'eau en très grande quantité, voulez-vous ?

Quand nous buvons, l'eau ne passe pas directement dans les cellules, elle va dans le compartiment extra-cellulaire. Il y a donc une augmentation du volume, mais le nombre d'ions reste le même, ce qui fait diminuer la concentration en sodium.
Ajout d'eau
Alors là, rien ne va plus ! Mais, rassurez-vous, le corps humain fait bien les choses et garde constant la concentration des deux côtés des membranes cellulaires – admirablement stylisées ici sous la forme d'une grille. Le problème, c'est que l'ajustement se fait par passage d'eau, les ions sont trop gros pour passer d'un côté à l'autre(7). Une fois que tout est rétabli, ça a approximativement cette allure-là.
Une fois l'équilibre rétabli

Hélas ! Le phénomène se produit que l'on absorbe quelques centilitres ou dix litres… Et c'est réellement à ce moment-là que commencent les ennuis. En effet, le fait que l'eau passe dans les cellules pour diluer la quantité de sodium qu'il y a entraîne une hyponatrémie, ainsi qu'un gonflement des cellules. Le problème, c'est que lorsque cette fameuse natrémie diminue, on ressent des nausées, des maux de tête, des confusions… Rien de bien réjouissant, n'est-ce pas ? Ce n'est que la partie la plus sympathique du problème. Je vous ai dit que les cellules gonflaient, n'est-ce pas ? Imaginez désormais l'effet sur les neurones et l'augmentation de la pression intra-crânienne, responsables de malaises, des œdèmes cérébraux, des convulsions, voire la mort dans le pire des cas.
Si le cas n'est pas encore trop grave, on tentera d'injecter peu à peu du sodium dans le compartiment extra-cellulaire – pas trop vite cependant, les neurones n'apprécient pas vraiment un changement trop brusque de la natrémie. Pour les cas les plus inquiétants, c'est plutôt en réanimation que ça se passe, chaque cas étant traité différemment.

Pour conclure, je ne peux que vous rappeler de boire à votre soif, bien sûr, mais sans non plus vous « surcharger ». Si vous êtes sportif, on ne peut que vous conseillez de manger un peu plus salé deux ou trois jours avant de faire une performance.


  1. (1) Je viens d'exploser mon quota de rimes, wouhou !
  2. (2) Celui ou celle qui a complété avec « c'qui fait qu'y était un p'tit peu rond » en songeant à La Noce des Cowboys Fringants gagne tout mon respect.
  3. (3) Pour une bonne raison : il faut de la place pour les graisses prévues en cas de grossesse !
  4. (4) Non, ceci n'est pas un message sponsorisé par le ministère de la Santé.
  5. (5) Évidemment, la concentration de l'urine sera très diluée, puisque la quantité de matière est pratiquement identique quelle que soit la quantité d'eau ingurgitée.
  6. (6) En réalité, seule la concentration est identique, les volumes sont plutôt de l'ordre de deux tiers-un tiers.
  7. (7) Ils peuvent toujours passer grâce à des canaux transmembranaires, mais c'est généralement contre de l'énergie qu'on parvient à les faire bouger. Fainéants d'ions.