Paris Tour Eiffel
Éloge de la Tour Eiffel.
Tu n'as pas le choix.
Elle est toujours là devant toi, que tu le veuilles ou non, elle te toise, obstinée. Elle t'oppresse et te réconforte à la fois. Elle ne permet jamais de se faire oublier.
À tous les coins de rue, d'instinct, tu lèves la tête : elle est toujours là, c'est bien, tout est normal. Un rien d'angoisse, par mauvais temps : elle peut disparaître, prise jusqu'au cou dans le crachin ou le brouillard. Tu ferais volontiers un détour pour vérifier… Un coup d'œil à travers les arbres, le pied de la géante est bien enraciné. C'est bon.
Moi, je suis née sous son ombre, au bord du Champ-de-Mars. Le grand mécano de Monsieur Eiffel a veillé sur mes premiers pas, telle une nounou colossale, omniprésente. Est-ce pour cela qu'elle me tient ? Les Parisiens seraient-ils les seules victimes de cette impalpable paranoïa ?
Tout çà, en réalité, c'est du marketing de diva. Pour mieux se faire désirer, cette grande coquette a toujours tout fait pour que l'on croit son passage éphémère. Elle a ponctué son existence d'éternels adieux à la Seine. Elle devait s'en aller après l'exposition de 1889. En 1944, elle aurait dû sauter, même Tonton a pensé nous l'enlever, en 1981. Pour mettre du plus beau. Plus beau, c'est facile, me diras tu. Tu la crois laide, agressive, monstrueuse. Possible. La nuit, pourtant, elle brille de tous ses strass et sa silhouette de girafe gracile s'élance par-dessus les toits, comme un bruit familier dans le ciel de Paris. Revêtue de lumière, c'est une grande star, une vraie. Elle a donc déchaîné les passions.
Des artistes illustres se sont acharnés sur elle au moment de sa conception. ce lampadaire véritablement tragique
(Léon Bloy) ; ce squelette de beffroi
(Paul Verlaine) ; ce mât de fer aux durs agrès, inachevé, confus, difforme
(François Coppée) ; cette haute et maigre pyramide d'échelles de fer, squelette disgracieux
(Maupassant).
Le charme du colossal
Gustave Eiffel défendra sa création avec autant de conviction que ses détracteurs.
Les véritables conditions de la force sont toujours conformes aux conditions secrètes de l'harmonie. Les courbes des quatre arêtes du monument, telles que le calcul de la résistance au vent les a fournies donneront une grande impression de force et de beauté. Il y a dans le colossal une attraction, un charme propre, auxquels les théories d'art ordinaires ne sont guère applicables.
Plus célèbre que les sept merveilles du monde, elle est le symbole de Paris, de la France et du peuple français, tant qu'on y est. Elle est l'essence de la France. Elle a été élue par des millions d'admirateurs et elle est le vecteur de millions de petits sous. Tu es apaisé, tu sais qu'elle restera.
De retour dans ta maison, nostalgique, tu retournes la boule de verre et tu fais neiger sur la Tour Eiffel. L'espace d'un instant, elle a disparu, mais tu as confiance. Tu sais maintenant, même si tu ne la vois plus, qu'elle est toujours là, fidèle au poste. Jusqu'à la nuit des temps.