Depuis le 27 Octobre dernier, on sait que Lou Reed n'écrira plus jamais de textes ni de musique.

C'est forcément dans l'ordre des choses mais suffisamment triste quand même pour se remémorer la qualité particulière de son travail d'artiste (et vouloir en parler autour de soi, ce qui me ramène ici).

Décrire sa musique serait trop aventureux : peu réductible aux mots, elle sera de toute façon très diversement appréciée selon les préférences de chacun.

Mais, ses textes, donc.

Il y utilise beaucoup l'ample matière que lui offre sa vie chaotique et particulière : il sombre, se relève, retombe et c'est un peu sans fin.

Il gardera toujours une tendresse toute spéciale pour ceux qui évoluent à la marge (son titre le plus connu, Walk on the Wild Side, est une sorte d'improbable carnaval où défilent des figures du milieu new-yorkais de la drogue et de la prostitution). Il restera toujours extrêmement fasciné par la cohorte des perdants magnifiques, dont il a le sentiment de faire partie, à sa manière.

Ce qu'il dit de la drogue ressemble à ce qu'il dit de l'amour et réciproquement(1). Dans les deux cas, une phase d'exaltation intense (I feel just like Jesus'Son dans le titre Heroin), suivie d'une brusque et douloureuse « descente » (She'll build you up to just put you down, dans Femme Fatale). Il n'occulte pas non plus ce qu'ils peuvent avoir d'occasionnellement sordide. (You can hit me all you want to/But I don't love you anymore, dans Caroline says II)

Pourtant, sans être dupe de leur imperfection, il trouve en eux la possibilité d'échapper à une réalité qu'il trouve trop violente, parvenant ainsi, artificiellement certes, à un état d'indifférence (ou de transcendance) parfaite où les aléas et les injustices du monde ne sont plus qu'une écume sans importance (comme il le décrit par exemple dans la chanson Men of good fortune)

Men of good fortune, often cause empires to fall
While men of poor beginnings, often can't do anything at all
[… ]
And me, I just don't care at all

Le temps passant, il est pourtant rattrapé par le chagrin lié à la disparition de certains de ses proches amis. Il n'accepte pas l'idée de la perte, la sensation que tout continue comme avant alors qu'en fait tout devrait s'arrêter (c'est un thème récurrent dans ses albums les plus récents, comme par exemple dans le titre Halloween Parade).

Evidemment, la noirceur de son propos peut rebuter à certains égards mais ce serait quand même dommage de s'en tenir à cela : à la manière de John Fante, Charles Bukowski ou encore Hubert Selby Jr, ces grands écrivains qui utilisent leur histoire personnelle pour exprimer un certain envers du rêve américain, il a ce style simple, dépouillé et sans complaisance, qui refuse d'enjoliver la réalité pour plaire ou distraire. Il cherche plutôt à rester fidèle à sa propre vérité, même lorsqu'elle s'éloigne dramatiquement des sentiers rassurants de la normalité.

Et, même s'il se décrit dans la chanson éponyme comme An average guy, il est permis d'apprécier pleinement ce type précis de médiocrité, libre et talentueuse.


  1. (1) Par exemple, la chanson A Perfect day décrit-elle le sentiment de quelqu'un de très épris ou de très héroïnomane ? Il y a les tenants des deux thèses.