Utiliser l'ordre alphabétique sur des mots complets(1) est une invention relativement récente par rapport à l'invention de l'alphabet ou de l'écriture elle même.

Meême si cela nous semble aujourd'hui évident, c'est une technique qu'il faut enseigner aux enfants (et qu'il a fallu historiquement enseigner aux adultes aussi).

Plusieurs listes de 300 avant J.-C. ont été trouvées dans les Îles Égéennes, donnant le nom de personnes participants à certains cultes religieux : ces listes sont triées alphabétiquement, mais uniquement sur la première lettre (Lucas avant Matthieu, mais Martin et Matthieu dans un ordre indifférent).

Certains papyrus grecs datant de 134 contiennent les fragments de livres de compte, dans lequels on retrouve le nom de contribuables triés sur la première et seconde lettre de leurs noms, mais pas plus.

Apollonios le Sophiste utilise l'ordre alphabétique sur les deux premières lettres, et parfois sur la suite, dans son Lexique des mots dont Homère s'est servi : nous sommes toujours au Ie siècle de notre ère !

On retrouve quelques exemples avec une alphabétisation plus correcte, en particulier dans les Doctrines d'Hippocrate de Galen (aux alentours de l'an 200), mais cela reste très rare.

En 630, les mots ne sont toujours triés que par leurs première et seconde lettres dans Les Étymologies de Saint Isidore de Séville, ce qui lui vaudra tout de même d'être au XXe siècle nommé par le Vatican saint patron des informaticiens ! De même pour le Corpus Glossary, ces deux œuvres étant pourtant les plus larges compilations non numériques du Moyen-Âge.

Il faudra attendre 1286 et Giovanni Balbi et son Catholicon pour trouver une description spécifique d'un ordre alphabétique se faisant sur toute la longueur du mot. Dans sa préface, Giovanni explique donc que :

amo précède bibo
abeo précède adeo
amatus précède amor
imprudens précède impudens
iustica précède iustus
polisintheton précède polissenus

Ce qui correspond à des exemples dans lesquels l'ordre est défini par la première, seconde, troisième, … jusqu'à la sixième lettre), « et ainsi de suite de façon similaire ».
Il remarque d'ailleurs que cette tâche n'était pas facile, et que de nombreux efforts furent requis pour trier cette liste : « je supplie donc mon cher lecteur de ne pas mépriser ce pensum et cet ordre comme un élément sans valeur de mon travail ».

Le premier dictionnaire d'Anglais, Table Alphabeticall de Robert Cawdrey (1604) contient les instructions suivantes :

Nowe if the word, which thou art desirous to finde, beginne with (a) then looke in the beginning of this Table, but if with (v) looke toward the end. Again, if they word beginne with (ca) looke in the beginning of the letter (c) but if with (cu) then looke toward the end of that letter. And so on of all the rest. &c.

Autrement dit, des instructions pour parcourir facilement le dictionnaire selon le mot recherché ! Ironiquement, il semblerait que Cawdrey apprenait lui aussi à alphabétiser : de nombreux mots sont mal placés dans les premières pages !

Encore un exemple concret d'un savoir qui nous semble logique et intuitif, mais qui aura pris de très nombreuses années avant de se démocratiser !


  1. (1) Pour distinguer « luth » et « lutteur » par exemple.