Avant de lire cet article, assurez-vous d'avoir lu l'épisode précédent !

Maintenant que nous avons détecté le boson de Higgs, il est temps de s'attarder sur ses propriétés, et plus particulièrement : à quoi ça sert ?

Parce que mine de rien, toutes les particules du modèle standard(1) ont une « utilité ». L'électron et les quarks up et down composent la matière ; les bosons de jauge véhiculent les interactions ; et même le neutrino, pourtant fort intriguant par certains aspects, a un rôle connu (il équilibre certaines réactions nucléaires).

Eh bien, en se documentant un peu, on peut apprendre que le boson de Higgs, lui, est responsable de la masse des particules.
En se documentant un peu plus, d'ailleurs, on peut apprendre que c'est faux.
Et c'est tant mieux, parce qu'avec sa durée de vie ridicule, le pauvre boson aurait bien du mal à donner quoi que ce soit à qui que ce soit.

Cela dit, il y a bien un lien entre le boson de Higgs et la masse. Plus précisément, ce qui donne la masse aux particules, c'est le champ de Higgs. Késako ? Eh bien, souvenez-vous : en physique quantique, il n'y a pas de distinction entre particule et onde ; et si le boson de Higgs en tant que particule n'est quasiment pas présent, il en est tout autrement de sa représentation ondulatoire : le champ de Higgs. Le fameux boson, quant à lui, n'est que le résultat d'une excitation ponctuelle dudit champ de Higgs.

Ceci est une représentation, et ne reflète (évidemment) pas la réalité…

Bon, on sait d'où vient le boson de Higgs. Mais ça ne nous dit toujours pas comment ce champ de Higgs donne la masse aux particules ‽

— Un lecteur consciencieux

Nous y venons ! Mais j'attire tout d'abord votre attention sur cette formulation : donner la masse aux particules.
Toutes les particules ? Non ! Certaines particules n'ont pas de masse, comme par exemple les gluons, ou plus connu : les photons. Et que sait-on sur les photons ? Ils vont vite. Ils vont même tellement vite qu'aucune particule ne peut aller plus vite qu'eux (dans le vide), et seules quelques unes peuvent espérer aller à la même vitesse : les particules sans masse.

Eh oui : la masse n'est en fait « que » la propriété de ne pas voyager à la vitesse de la lumière(2).

Et le champ de Higgs dans tout ça ?

— Un lecteur impatient d'en arriver à la conclusion (on le comprend)

On y est presque !
Imaginons une particule voyageant à priori à la vitesse de la lumière, et plaçons une autre particule, immobile, sur sa route. Notre particule voyageuse va rebondir dessus, et repartir dans la direction opposée. Là, malicieux, nous plaçons une autre particule immobile. Le même phénomène va se reproduire, et notre particule de repartir dans son sens originel. Et un peu plus loin, pouf ! encore une particule immobile… Vous comprenez le principe.
Rebonds après rebonds, notre particule continuera peut-être à se déplacer dans un sens ou dans l'autre ; cela dit, en moyenne (et dans le monde quantique tout se résume à cela), elle se déplacera à une vitesse inférieure à la vitesse de la lumière.
Autrement dit : elle a acquis une masse(3).

Le champ de Higgs fonctionne de cette façon, grâce à une de ses particularités : contrairement à une probabilité de présence d'un électron (par exemple), qui peut diminuer jusqu'à presque s'annuler par endroits, le champ de Higgs a une valeur élevée en tout points de l'espace(4). Une particule évoluant dans un champ de Higgs pourra donc « rebondir » dessus, et par conséquence, ne pas voyager à la vitesse de la lumière ; ou en d'autres termes, acquérir une masse.

Notez que les deux premiers cas sont complètement irréels : à priori, le champ de Higgs est présent partout dans l'univers, et la probabilité pour qu'une particule puisse rebondir sur d'autres suffisamment souvent pour affecter sa vitesse globale est presque nulle.

Les photons, eux, ne sont pas capables d'interagir avec le champ de Higgs : ils ne peuvent pas ne pas voyager à la vitesse de la lumière, et n'ont donc pas de masse(5). Notons au passage que le champ de Higgs peut très bien interagir avec lui-même(6), et ce assez fortement. De fait, sa propre excitation(7) (le boson de Higgs) possède lui aussi une masse, et pas des moindres ($2,2×10^{-25}$ kg, là où un proton pèse $1,7×10^{-27}$ kg, soit presque 200 fois moins).

Pour finir, gardons à l'esprit que ces informations ne sont pour l'instant que des théories : le CERN doit encore procéder à de nombreuses expériences pour les vérifier, ainsi que pour percer les nombreuses zones d'ombre qui entourent encore le boson de Higgs. On ne sait pas par exemple pourquoi différentes particules interagissent différemment avec le champ de Higgs (donnant ainsi des masses différentes), voire n'interagissent pas du tout…
Mais c'est cela aussi la magie de la physique !


  1. (1) Ou presque, on cherche encore l'utilité des versions « lourdes » des fermions composant la matière.
  2. (2) On pourrait remarquer que la masse n'est pas « que » cela ; c'est pourtant le cas ! Les autres propriétés imputées à la masse sont des « effets secondaires » de cette propriété, induites (entre autres) par la relativité.
  3. (3) Au-delà d'une simple expérience de pensée permettant une meilleure compréhension, les théories actuelles statuent que c'est de cette manière que se sont déroulés les premiers instants de l'univers après le Big Bang : les particules élémentaires auraient été générées sans masse, puis l'auraient acquise au-travers du champ de Higgs.
  4. (4) Sans pour autant que cela engendre la présence du boson de Higgs partout !
  5. (5) Il en va de même pour les gluons, ou toute autre particule sans masse.
  6. (6) Non, ce n'est pas sale.
  7. (7) Ce n'est pas sale non plus, arrêtez de chercher !