Parler d'espace public, c'est avant tout parler d'un symbole qui entre pile poil dans le cadre des sociétés démocratiques. La définition la plus simple que l'on peut faire de l'invention du philosophe-sociologue Jürgen Habermas est la suivante : il s'agit de tout espace où tout individu peut prendre part à une discussion d'intérêt public (la santé, l'économie, la sécurité, l'éducation, etc.), et même participer à la décision, en fonction du degré de démocratie utilisé par l'espace. Par exemple, dans le cadre d'un conseil de quartier, tout habitant du quartier peut discuter et prendre des décisions sur des problèmes de voirie, de voisinage, de l'hygiène du-dit quartier(1). À l'inverse, dans un forum de discussion généraliste sur la santé sur le web, organisé par le ministère de la Santé et des Sports, l'internaute a la liberté de discussion, mais la décision finale revient en définitive au cabinet et au ministre qui a charge des dossiers.

Vous l'aurez compris, l'espace public est au centre d'une démocratie soit participative (je donne mon avis, j'écoute les autres, et je participe à la prise de décision), soit représentative (je participe à la discussion, mais c'est l'élu représentant la société qui prend la décision finale). Le but est que tout ce qui a trait au privé, nos opinions, nos connaissances personnelles, nos projets propres, puisse avoir une ouverture réelle sur le collectif pour faire avancer la société. C'est une idée associée à la volonté de progrès, et de bien commun.

Autre constatation : si d'un point de vue théorique, l'espace public est un symbole unique, il se trouve être, en pratique, multiple ! Il est cité ici les conseils étatiques et les forums sur internet ; mais il est possible d'y ajouter aussi les mass-médias (presse écrite, radio, télévision…), les sondages d'opinions, les blogs, les clubs de philosophie, … En fait, du moment que le lieu est constitué suivant la définition citée plus haut, on peut le considérer comme un espace public.

Bien sûr, être un symbole signifie aussi avoir une part d'utopie, de rêve. Soyons réalistes, sur toutes les discussions d'intérêt public, combien arrivent au consensus ? La question environnementale et les protocoles que chaque pays devraient suivre afin d'éviter les risques majeurs est un exemple parmi d'autre. Car qui dit intérêt privé signifie aussi concurrence, volonté d'assujettir autrui à son point de vue, etc. Il faut donc compter sur toute les dominations – économiques, politiques, pour ne citer qu'elles – que le plus fort peut imposer pour asseoir son avis.

De même, dans la vie, qui s'intéresse à tout, qui a des connaissances suffisantes pour agir réellement sur toute les questions d'intérêt public ? Sûrement pas moi, sûrement pas vous. Ainsi, quel pourcentage de la population française s'intéresse à la question du nucléaire, du moins assez pour réagir rationnellement (sinon, ça compte pas) dans une discussion ? Et s'il le peut, le veut-il : de tous les experts techniques ou politiques s'y connaissant, combien agissent et prennent la parole, ou ébauchent une solution, et cela pour le bien commun ?

Jürgen Habermas l'a rêvé, ce concept, en prenant des exemples historiques. Et l'espace public existe. Quoiqu'on en dise, il est présent ! Avec ces nuances, ces apories, mais il existe. Et c'est précisément parce qu'il est à cheval entre la réalité (en gros, son côté sociologique) et le rêve (son côté philosophique, avec ses convictions) qu'il est important : en le confrontant avec notre monde, on peut d'autant plus critiquer, et mettre en pratique des innovations qui perfectionnent la démocratie, mais aussi l'esprit critique de l'individu.


  1. (1) Et encore, si on est précis, tout dépend du conseil et de sa constitution…

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