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Pour clarifier rapidement, on appelle mass médias les médias capables de toucher une large audience. On touche donc ici à la presse écrite, à la radiophonie, et à la télévision(1).

En rapport avec le concept d'espace public, les attentes normatives liées aux mass médias sont les mêmes :

  • Les médias doivent suivre la logique de la transparence et du droit à l'information, et ceci pour le bien-être des citoyens ;
  • Ils doivent être capables de citer leurs sources, c'est-à-dire de vérifier la véracité de leurs propos ;
  • Ils doivent ouvrir le dialogue entre les personnalités politiques (ou autre : organisations, groupes de pressions, etc.). C'est ce dialogue, rationnel, et la liberté d'expression qui permet la création de la discussion pratique dans un espace accessible à tous ;
  • Ils ont aussi le devoir de respecter le public.

Avant de vérifier si ces attentes sont réalistes, et suivies, il est utile de préciser que l'espace public ici est un espace public occidental, et ne concerne pas l'espace public oriental, qui n'a pas la même portée, ni la même définition(2).

Constat sévère, dès le départ. Car il suffit de lire, d'écouter, ou de regarder quelques minutes un des multiples mass médias, et l'on ne peut que se rendre à l'évidence : le discours diffusé n'est pas exclusivement rationnel. Actuellement, beaucoup d'émissions radiophoniques ou télévisuelles prennent la forme de talk-show ou de reality-show (soit le fait d'introduire dans les débats de société des témoignages intimes(3)). Ce genre d'émissions intègre non pas de l'argument pratique, mais de la rhétorique, subtil mélange entre le rationnel et la dramaturgie.
Quant à l'accessibilité du public aux informations, si les mass médias intègrent beaucoup plus les minorités sexuelles, ethniques, d'âges dans leurs sujets, leurs témoignages, ceux-ci sont très souvent coincés dans certains thèmes, sans pouvoir être entendus ailleurs. De plus, pour des raisons de concurrence (faire parvenir les mêmes informations que la chaîne adverse avant celle-ci) et d'instantanéité de l'information, ce sont les mêmes sujets et les mêmes acteurs sociaux qui ont le plus de chances de faire partie de l'ordre du jour.
Niveau transparence, on constate un nombre certain d'exceptions au droit de l'information. Citons les lois relatives à la protection de la vie privée, du secret commercial, de la sécurité nationale, l'enregistrement des lobbyistes (lois d'Outre-Atlantique), de la gestion des finances publiques… et c'est sans compter les lenteurs pour se procurer des informations des administrations publiques, suite aux méfiances de rendre public des documents administratifs.

Les mass médias sont aussi des lieux à dominations politiques et économiques, dominations qui influent très largement sur le travail du journaliste.
Niveau politique, on peut préciser que l'information véhiculée dépend avant tout de la rédaction et/ou du propriétaire (la ligne éditoriale doit correspondre à une vision du monde). Tout n'est donc pas véhiculé (4). Ensuite, la source est le souci principal de l'indépendance journalistique. Si la source est connue, un pigiste n'a pas le même pouvoir sur celle-ci qu'un éditorialiste. De sorte qu'il est relativement impossible pour un journaliste débutant de pouvoir critiquer sa source, sous peine de ne plus pouvoir y accéder par la suite ! Et comme dit précédemment, le pluralisme des informateurs étant cassé, ce risque est d'autant plus difficile à prendre. Dans le cas d'une source anonyme, quand bien même le lecteur songe directement au « coup fumeux » (si la source refuse de donner son identité, c'est qu'il s'agit d'une information importante), il peut tout aussi bien s'agir d'une source inventée. Il faut aussi compter sur le traitement journalistique de l'information qui suit les modes « inconscients » (car le journaliste est conditionné depuis de début de sa formation à suivre ces techniques ; à sa décharge, l'esprit critique du journaliste existe néanmoins), dits styles politico-dramatiques. Styles qui d'ailleurs, sont maîtrisés par la sphère politique…

Niveau économique, on peut la diviser entre la « marque » que pose le propriétaire du mass médias. Ceux-ci peuvent en effet contraindre les journalistes à suivre leurs directives, ou à suivre les lignes politiques qui leurs sont familières(5). Le fait que les mass médias appartiennent en majorité à des entreprises crée aussi une contrainte « inconsciente » sur le journaliste : il évitera de publier des informations qui mettraient à mal les intérêts du groupe qui le finance. En matière de domination économique, il faut aussi parler de la transparence du mur existant entre la section publicité et la rédaction du journal…

Après un bref aperçu, on peut donc constater que les mass médias sont plus proches de ce que l'on appelle un appareil idéologique, que d'un vrai espace démocratique. Cela dit, il faut aussi préciser qu'une partie d'entre eux sont indépendants, et militent pour le respect de leurs droits. De plus, la déontologie est importante, et même si l'acteur social est préparé aux techniques de presses, cela n'empêche pas des effets inattendus (gaffes, ou autres bévues, non rares).


  1. (1) Le Web en fait partie, mais il bénéficiera d'un article à lui tout seul, étant donné les nouveautés (?) qu'il opère en ce début de XXIe siècle.
  2. (2) Pour rappel, l'espace public est un concept occidental, basé sur une étude des espaces publics occidentaux.
  3. (3) Pas question de parler d'émissions comme « C'est mon choix », d'« Un jour, une histoire », présenté par E. Thomas et J.-L. Delarue, on parle ici d'émissions comme « Bruits pas sages » d'Arte Radio.
  4. (4) Ainsi Libération privilégiera vis-à-vis du Figaro les affaires sociales, quand celui-ci sera plus orienté vers une visibilité économique.
  5. (5) Par exemple, S. Berlusconi qui possède Médiaset, ensemble de chaînes privées un peu partout en Europe…