Aujourd'hui, je viens vous offrir 10 ans de vie. Et tenez-vous bien : nul besoin de vendre votre âme au diable ou d'arrêter la cigarette, il suffit juste d'arrêter… de dormir. Ou plutôt, de maximiser le sommeil réparateur ; laissez-moi vous présenter à cet effet le sommeil polyphasique.

Pour pouvoir expliquer et justifier ce qui va suivre, un minimum de connaissance sur le sommeil s'impose. Scientifiquement, on en sait très peu ; mais on a tout de même identifié cinq phases de sommeil caractérisées par la fréquence des ondes du cerveau. Parmi ces cinq phases, la dernière se distingue particulièrement : nommée sommeil paradoxal, c'est dans cette période que l'on rêve. Il semblerait que la seule nécessité pour survivre et être reposé soit cette phase paradoxale (aussi nommée REM). Les phases de sommeil s'enchaînant régulièrement, une nuit de sommeil moyenne de 8 h apporte un peu moins de 2 h de sommeil paradoxal.

Et c'est là qu'intervient le sommeil polyphasique : plutôt que de perdre du temps avec les quatre premières phases “inutiles” – on y reviendra –, il “suffit” de forcer le cerveau à passer en REM depuis le moment où l'on ferme les yeux jusqu'à celui où on les rouvre. Deux heures de ce type de sommeil étant suffisantes pour une journée, c'est la perspective d'une journée de 22 h qui s'offre à vous !
Oui, MAIS ! La méthode développée ci-dessous n'a pas que des avantages : si elle offre effectivement énormément de temps libre, elle demande aussi un immense investissement, et impose des contraintes qui expliquent pourquoi en pratique, très peu de personnes l'utilisent.

Vous êtes tout de même intéressé ? Arrêtons donc le jargon générique qu'on croirait importé d'un « régime miracle » pour parler faits.
On ne peut malheureusement pas dormir deux heures de suite de sommeil paradoxal – à cause de l'enchaînement des phases décrit plus haut. Il faut donc décomposer son sommeil en six “siestes” de vingt minutes uniquement REM, ce qui implique de conditionner son cerveau pour utiliser ces instants de repos à fond : prévoyez une semaine difficile lors du passage d'un sommeil monophasique (que vous faites sûrement actuellement, en un seul bloc) vers un sommeil plus “optimisé” polyphasique. Si vous avez déjà fait une nuit blanche, vous avez dû vous en rendre compte : les yeux se ferment seuls, et le cerveau bifurque directement en REM comme un moyen de protection. Le concept est exactement le même : la fatigue sert d'apprentissage, puis une fois bien dressé, votre cerveau passe directement en paradoxal – et vous n'avez plus à être fatigué.
Avant de commencer l'expérience, prévoyez une immense liste de choses à faire : les journées de 22 h permettent d'abattre une quantité phénoménale de travail, et si vous vous retrouvez désœuvré lors de la transition, la fatigue vous endormira, forçant alors le retour à un rythme circadien habituel. Pour la même raison, prévoyez des réveils puissants : en dépassant la durée (20 minutes) de votre sieste, vous cassez tout autant la méthode et la rendez ineffective.

Prêt à vous lancer ? Examinons les différents programmes qui s'offrent à vous, du peu contraignant « Sieste » à l'« Uberman(1) » qui exigera une volonté d'airain.

Les différentes façons de dormir
Type de sommeil Description

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Monophasique C'est le sommeil standard : 8 h d'un bloc.

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Sieste Aussi nommé biphasique, c'est le plus simple à respecter : 20 minutes de sieste en milieu de journée, 6 heures de sommeil.

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Everyman Plus facile que l'Uberman, l'Everyman est constitué de trois siestes et de trois heures de sommeil.

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Uberman Six siestes de vingt minutes, le programme le plus contraignant mais aussi le plus gratifiant selon ceux qui ont testé les différentes formules. Ce modèle enlève complètement le bloc « nuit », rendant difficile de garder trace des jours qui passe. C'est ce modèle qui sera décrit en détail ici.

Vous trouvez l'Uberman incroyable ? Et pourtant, c'est le type de sommeil qu'utilisaient Vinci, Edison, Jefferson, Napoléon, Franklin et Ford(2).
De façon plus pragmatique, regardez un bébé : il dort selon le même rythme qu'un Uberman, par petites tranches de sommeil. Et les animaux font de même : certains supposent que l'Uberman était le comportement des hommes préhistoriques, obligés d'être dispos de façon permanente.
Enfin, les navigateurs en solo adoptent un programme similaire (voyez les liens ci-dessous pour des preuves de tout ce que j'avance) lors de leurs traversées, et ajoutent même des contraintes supplémentaires ! (Mais eux ne font ça que sur une courte durée, alors que l'Uberman peut théoriquement s'appliquer sur toute une vie.)

Avant de parler des problèmes qui peuvent survenir, clarifions : le sommeil polyphasique ne zombifie pas les gens. Au contraire : toutes les personnes rencontrées pour cet article se disent fraîches en permanence, et ont l'impression de vivre dans un monde où tout est ralenti sauf eux(3). Et pour cause : au premier signe de fatigue, quelques heures après s'être levé, c'est déjà l'heure d'une nouvelle sieste réparatrice : la fatigue n'a pas le temps d'apparaître !

Cependant, un Uberman qui décale son rythme va droit vers les ennuis : le cerveau s'est auto-conditionné pour dormir sur un schéma parfaitement régulier ; et un simple décalage de trente minutes dans l'heure du “coucher” suffit à ensommeiller pour deux cycles. Pire encore, si l'Uberman rate purement et simplement une sieste, il faut plusieurs jours (voire semaines pour certains) avant de retrouver un rythme correct. En fait, c'est là le principal inconvénient du sommeil polyphasique : il demande une volonté exceptionnelle… et une vie flexible en support. Car si le sommeil monophasique peut être malmené de temps en temps, le sommeil polyphasique ne pardonne pas autant ; et la transformation en loque se fait simplement avec quelques cycles corrompus.
Deuxième inconvénient, il faut surveiller son alimentation. La plupart des gens passent à quatre repas pas jour pour alimenter les heures supplémentaires, et font une croix sur le café : on ne peut pas se permettre de tourner en rond dix minutes dans son lit à la recherche du marchand de sable quand cela représente la moitié de notre temps de sommeil ! Toujours dans le domaine alimentaire, certains ressentent ce qu'on pourrait appeler des envies de femme enceinte : du jus de raisin par exemple. Il est postulé qu'il s'agit d'un moyen pour l'organisme de se procurer des espèces chimiques qui sont normalement synthétisées pendant les phases de sommeil atrophiées.
Ce qui m'amène tout naturellement au troisième inconvénient : aucune étude n'a été réalisée sur la privation à long terme des phases 1 à 4 du sommeil(4). Même si les génies cités plus haut semblent s'en être parfaitement accommodés(5), il est rare de trouver des personnes ayant maintenu l'expérience de nombreuses années : des contraintes professionnelles (passage à un job plein temps) ou personnelles (famille, amis) empêchant les siestes régulières. Mais rassurez-vous : ceux qui ont tentés l'expérience n'en sont pas morts (bien au contraire), ont retrouvé un rythme normal en quelques jours. Beaucoup ont été heureux de pouvoir réellement « dormir » de nouveau, profiter de l'alternance jour/nuit et repartir sur une routine plus humaine que surhumaine !


  1. (1) Le terme est un hommage au concept d'Übermensch développé par Nietzsche dans son ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra.
  2. (2) Ce n'est pas confirmé pour ces deux derniers, bien qu'il soit sûr qu'ils aient une gestion avancée et inhabituelle de leur sommeil.
  3. (3) Ce qui justifie un peu l'appellation d'Uberman.
  4. (4) On sait cependant que l'absence de phase 4 peut mener à des apnées du sommeil.
  5. (5) Encore que certains, tels Edison, apprécient une journée « remise à zéro » : de 12 à 24 heures de sommeil en continu une fois tous les six mois, permettant ainsi l'expression des phases lésées.