Au clair de la lune est sûrement l'une des chansons les plus connues du répertoire populaire français. Des générations d'enfants l'ont entonnée, séduits par la mélodie simpliste qui se cache derrière : do-do-do-ré-mi… tout le monde connait cet air que l'on retrouve dans de nombreuses partitions.

De nos jours encore, l'origine de la chansonnette reste controversée : certains prétendent qu'elle fut composée par le prolifique Lully au XVIIe siècle, d'autres assurent que la ritournelle date de 1790 et se base sur une contredanse nommée « la Rémouleuse », et d'autres enfin jurent que la ritournelle remonte à 1576 et au « Chardavoine ».

Mais laissons-là les débats (et débuts) stériles, et engageons-nous dans la lecture du double-sens de la chanson. Si de nos jours, la comptine semble bien innocente, c'est parce que l'on a abandonné le dernier couplet qui donnait les clés pour interpréter le texte :

Au clair de la lune, mon ami Pierrot
Prête-moi ta plume, pour écrire un mot.
Ma chandelle est morte, je n'ai plus de feu.
Ouvre-moi ta porte, pour l'amour de Dieu.

Au clair de la lune, Pierrot répondit :
— Je n'ai pas de plume, je suis dans mon lit.
Va chez la voisine, je crois qu'elle y est
Car dans sa cuisine, on bat le briquet.

Au clair de la lune, l'aimable lubin(1)
Frappe chez la brune, elle répond soudain
— Qui frappe de la sorte ?, il dit à son tour
— Ouvrez votre porte pour le Dieu d'Amour.

Au clair de la lune, on n'y voit qu'un peu
On chercha la plume, on chercha du feu
En cherchant d'la sorte je n'sais c'qu'on trouva
Mais je sais qu'la porte sur eux se ferma.

Remise dans le contexte, on découvre une véritable chanson paillarde digne d'une fête carabine. Pour contextualiser, précisons qu'à l'époque « battre le briquet » était une expression fortement imagée pour désigner ce que Rabelais nomme « la bête à deux dos ».
De plus, la chanson a perdu du sens (et du croustillant) avec le temps, le prête moi ta lume (vieux français pour désigner la lumière) devenant prête moi ta plume, ce qui lui fait perdre toute cohérence : pourquoi chercher une plume pour s'éclairer ?
Cette quête « de lumière » car « la chandelle est morte » amène vers la voisine « qui bat le briquet » et pourra « rallumer la chandelle » en « ouvrant sa porte » pour « le Dieu d'Amour ». On fait difficilement plus explicite…

Finalement, la berceuse que nous connaissons s'est débarrassée de sa connotation grivoise pour rejoindre le merveilleux et mièvre monde des enfants, doucement illuminé des lueurs sélénites.


  1. (1) Ancien terme pour désigner un moine dépravé.