L'infini en comptant… Drôles de calculs ! (1)
Comment calculer en manipulant l'infini ?
Installez vous au grand hôtel de Hilbert, il y a toujours de la place !
Mais il vous faudra peut-être une infinie patience… Parce que ça déménage !
Au grand hôtel Hilbert(1), le service est peut-être moins soigné qu'au Crillon, mais on accueille tous les clients au fur et à mesure de leur arrivée. Les chambres sont numérotées \(0, 1, 2, 3, 4, 5, \ldots\) et ça ne s'arrête tout simplement pas.
Un jour, l'hôtel est plein et un nouvel arrivé irascible(2) demande la chambre 0. Pas de problème : chaque ancien client déménage à la chambre suivante et le client irascible peut prendre la chambre 0.
Un autre jour où l'hôtel est plein, arrivent inopinément 5 clients. Pas de problème non plus : on déménage les anciens clients en les installant aux chambres \(5, 6, 7, 8, 9, \ldots\) et les 5 derniers nouveaux arrivés sont logés aux chambres \(0, 1, 2, 3, 4\) !
L'hôtel est toujours plein, on en construit un identique dans la ville voisine, mais un jour où les deux hôtels sont pleins, une alerte au gaz oblige à évacuer et reloger tous les clients du second hôtel dans le premier. Va-t-on pouvoir héberger tout le monde ? Pas de problème :
- les clients du premier hôtel déménagent de leurs anciennes chambres \(0, 1, 2, 3, 4, \ldots\) aux chambres \(1, 3, 5, 7, 9, \ldots\)
- et les clients de l'hôtel sinistré déménagent de leurs anciennes chambres \(0, 1, 2, 3, 4, \ldots\) aux chambres \(0, 2, 4, 6, 8, \ldots\).
Pour éviter la panique, la consigne donnée aux clients du premier hôtel est simple : « vous multipliez votre numéro de chambre par 2 et vous ajoutez 1, voilà votre nouveau numéro de chambre ! ». « M. Achille Talon, vous aviez la 137 ? vous aurez donc la \(2 \times 137 + 1\), c'est-à-dire la \(274 + 1\) : Voilà la clef de la 275, Monsieur ! Bon séjour, Monsieur. »
La consigne donnée aux clients du second hôtel est encore plus simple (les clients ont été perturbés par l'alerte, on les ménage) :
« Vous multipliez par 2 votre ancien numéro de chambre et voilà votre nouveau numéro de chambre ». « Mademoiselle Cassandre de Troie, ah ! c'est vous qui avez prévenu du danger et ils vous ont cru ? Tiens, c'est bizarre ! Voyons donc, vous aviez la 29 772, vous aurez donc la \(2 \times 29 772\), voilà la clé de la 59 544, Madame, Ah ! Pardon Mademoiselle… »
Dérivons un peu pour nous intéresser à la question « combien y a-t-il de passagers dans un car ? » C'est facile pour un ensemble fini. On fait défiler les passagers à la montée ou à la sortie, en récitant \(1, 2, 3, 4, \ldots\) et on s'arrête au dernier passager : « Aujourd'hui 63 passagers, très bien, on utilisera quelques strapontins. »
Les enfants comprennent très vite qu'on peut compter sans s'arrêter indéfiniment (Sauf lassitude bien compréhensible) : voilà le premier ensemble infini facile à concevoir : \(\mathbb{N}\) ou ensemble des entiers naturels(3).
Mais les notions, usuelles quand on compte, « plus que », « autant que », « moins que » sont-elles encore valables ?
Si 12 passagers descendent du car, il y en a effectivement moins qu'avant et si 15 nouveaux passagers veulent les remplacer, il y a effectivement plus et même trop pour la capacité maximale de 65 places assises.
Pour un ensemble infini, ça se complique : avoir « autant » d'éléments se définit par la possibilité d'associer un-à-un(4) les éléments des deux ensembles à comparer, sans oublier personne et sans utiliser plusieurs fois un même élément : comme dans un bal, les filles et garçons vont former des couples sans laisser personne faire tapisserie.
Notre petite visite à l'hôtel Hilbert nous permet de dire que l'ensemble des entiers naturels, \(\mathbb{N}\), a autant d'éléments que \(\mathbb{N}^*\), c'est-à-dire que \(\mathbb{N}\) privé de 0 ; autant d'éléments que si on lui ajoute un nombre fini d'éléments, 5 clients supplémentaires ou un autre nombre ; que les nombres pairs sont aussi nombreux que les nombres impairs(5), mais aussi nombreux que les entiers naturels eux-mêmes…
On appelle \(\aleph_0\) – lire aleph zéro – le cardinal(6) de \(\mathbb{N}\), c'est-à-dire le nombre d'éléments de \(\mathbb{N}\) : \(\aleph_0\) est donc un nombre « infini », l'infini du dénombrable, de tout ce qui peut se dénombrer comme \(\mathbb{N}\).
Donc : \(\aleph_0 = \aleph_0 - 1 = \aleph_0 + 5 = \aleph_0 + n\).
On peut ajouter n'importe quel nombre \(n\) de nouveaux éléments à un ensemble dénombrable, l'ensemble obtenu est encore dénombrable.
Et aussi : \(\aleph_0 = 2 \times \aleph_0 = n \times \aleph_0 = \aleph_0 \times \aleph_0\).
L'ensemble des nombres pairs, l'ensemble des multiples de \(n\), nombre entier quelconque, l'ensemble \(\mathbb{N} \times \mathbb{N}\) de tous les couples d'entiers naturels sont tous des ensembles dénombrables.
C'est-à-dire que nous allons numéroter tous les couples d'entiers naturels ! Ces couples étant disposés en prolongeant à l'infini à droite et en bas…
(0 ; 0) (0 ; 1) (0 ; 2) (0 ; 3) (0 ; 4) (0 ; 5)… |
On commence par le couple (0 ; 0)->0 |
Ne croyez pas tout savoir sur l'infini en si peu de mots !
En attendant la suite, que vous attendez avec impatience, une remarque encore : votre paquet de riz ne contient pas un nombre infini de grains… mais il faudrait être infiniment patient – et un peu fou ? – pour en compter le nombre exact. Ce qui est fini n'est pas forcément simple !
- (1) ↑ Dans son livre One Two Three… Infinity (un, deux, trois, … l'infini) paru en 1947, le physicien George Gamow raconte que, selon Richard Courant, David Hilbert utilisait cet exemple pour illustrer ses conférences sur l'infini.
- (2) ↑ L'ire des mots croisés, la colère… propre aux irascibles !
- (3) ↑ On n'a pas cherché bien loin son nom ! c'est naturel, parce que ce sont les plus simples et ils sont utilisés couramment.
- (4) ↑ On disait de façon univoque, on dit maintenant de façon bijective.
- (5) ↑ On en convient facilement, comme ils se suivent.
- (6) ↑ Vous vous souvenez des adjectifs ordinaux et cardinaux : les ordinaux ont la notion d'ordre (premier, deuxième, troisième…) et les cardinaux s'en moquent (un, deux, trois, …).