J'aime la nuit. Pas la nuit blanche des noctambules, ni celle des illuminations de Noël.

Non, la nuit que j'aime, c'est la nuit noire, la nuit profonde, la nuit vraie.
Celle des quarts en mer où l'on est seul sous les étoiles
Celle du lit tiré sur la terrasse les soirs d'été
Celle des heures passées sur le toit avec le télescope.

Aussi quand la civilisation et l'éclairage public ont inondé mon chemin, les lumières de la ville se sont transformées d'un émerveillement lointain au fond de la vallée en une réalité proche, une promiscuité agressive, un éblouissement envahissant. Et j'ai donné mon télescope.

Lumières du soir sur Toulon

J'en étais là, enfermée dans la clim et dans une colère maussade, pestant comme une rebelle contre la décision imposée, mais vaguement coupable de nostalgie rétrograde : ce refus du progrès, serait-ce donc une maladie ?

Le premier symptôme, celui du nyctophile, de l'adorateur de la nuit noire, de l'adepte de l'obscurité profonde, semblait au premier abord relever de la manie, de l'addiction et des comportements sectaires. J'avais empoigné mon clavier, je compulsais sur mon écran les encyclopédies médicales, je consultais tous ces experts qui foisonnent sur le net. Eh bien, il s'est avéré qu'autant la lumière compte parmi les thérapies naturelles émergentes, autant l'alternance de la lumière et de l'obscurité, synchroniseur du cycle veille / sommeil semble essentielle à la qualité du sommeil.

Soyons brièvement techniques : le cycle veille / sommeil est soumis à l'influence de synchroniseurs. L'endormissement est la conséquence de la synchronisation de plusieurs phénomènes :

  • externes, comme la baisse de l'intensité lumineuse, le niveau du bruit ambiant, l'activité sociale.
  • internes, comme la diminution de la température corporelle, maximale à 17 heures, minimale entre 3 et 5 heures de la nuit.

À l'inverse, le réveil est préparé par l'augmentation de la température corporelle et la sécrétion d'hormones éveillantes, comme le cortisol.

En l'absence de synchroniseur externe, lors d'expériences hors du temps, mon horloge biologique va continuer à rythmer l'alternance veille / sommeil selon des variations circadiennes (autour de 24 heures). Mais la qualité du sommeil en sera altérée : l'alternance lumière / obscurité, la variation du niveau d'activité sociale, le niveau du bruit ambiant sont autant de phénomènes qui influent sur la qualité du sommeil.

Selon le Professeur Olivier Van Reeth, « pendant des millénaires, nous nous sommes levés et couchés avec le soleil, vivant ainsi en parfaite harmonie avec notre horloge biologique. En permettant l'extension artificielle de la durée du jour, l'avènement de l'éclairage électrique puis l'explosion des nouvelles technologies ont complètement bouleversé l'organisation temporelle de nos sociétés industrialisées. Lorsque nous profitons de l'opportunité qui nous est donnée d'être actifs la nuit (quand notre horloge nous dit de dormir) et de dormir le jour, nous nous mettons alors en conflit avec notre horloge biologique… »

Les études [des chronobiologistes] montrent qu'une exposition programmée à de la lumière intense sur le lieu de travail (et le maintien d'une obscurité absolue pendant le sommeil) permettent d'améliorer l'adaptation aux conditions de travail [de nuit]. De même, une exposition à une lumière intense pendant les périodes dévolues au sommeil ont un impact sur la qualité du sommeil. Des chercheurs Français viennent de démontrer qu'une lumière bleue contribue à restaurer une horloge biologique dégradée par l'absence de lumière naturelle. Ou encore que les bénéfices d'un traitement du cancer du sein sont réduits à néant quand la patiente ne dort pas dans le noir absolu.

Cette débauche d'éclairage artificiel ne perturbe pas seulement la santé des humains : elle dégrade aussi l'environnement naturel et perturbe les écosystèmes. Cette pollution lumineuse génère un crépuscule permanent qui bouleversent les modes de vie de nombreuses espèces animales. Les faucons pèlerins chassent le pigeon à la lumière de la ville, les oiseaux migrateurs se perdent, ne trouvant plus à s'orienter à la lueur d'étoiles qu'ils ne distinguent plus.

Certes, le Grenelle de l'environnement a bien émis en 2009 de grandes résolutions sur la limitation de la pollution lumineuse, mais leur application peine à se mettre en place. Nous retiendrons tout de même le sympathique exemple précurseur de Garéoult, cette petite commune du Centre-Var qui avait dès 2008 signé un accord avec l'observatoire voisin de Rocbaron. Les économies recherchées par le pacte de transition énergétique 2014 pourront-elles relancer le processus de réduction de la pollution lumineuse ?