Une histoire de vampire
Lamia, Dracula, Lestat, Edward, … même combat ?
En 2007, une équipe d'archéologues a fait une découverte incroyable dans la lagune de Venise. En fouillant l'île de Lazzaretto Nuovo située à quelques kilomètres de la cité des Doges, les archéologues s'attendaient bien à trouver des centaines de squelettes, l'île étant connue pour avoir servi de lieu de quarantaine lors de l'épidémie de peste de 1576. Mais parmi les 1 500 dépouilles exhumées, un squelette de femme attire particulièrement l'attention de la communauté scientifique : une brique est enfoncée profondément dans sa gorge, comme si on avait voulu la faire taire à jamais…
Quel est donc cet étrange rite funéraire ? Faut-il y voir un geste de malveillance ? Une valeur symbolique particulière ? Les traditions anciennes nous donnent la réponse : ce traitement particulier était réservé, je vous le donne en mille… aux vampires ! Dans les croyances du XVIe siècle, enfoncer une grosse pierre ou une brique dans la bouche d'un vampire, c'est l'empêcher de se nourrir et de venir troubler le monde des Vivants…
En réalité, le mythe du mort-vivant qui se nourrit du sang de ses victimes est bien plus vieux, et remonte (presque !) à l'origine de l'humanité : ainsi, les civilisations babyloniennes et assyriennes font de Lilith une femme maléfique qui s'abreuve du sang des humains. La Rome antique n'est pas en reste : il est de tradition, dans certaines régions sous domination romaine, de percer le crâne d'un mort à l'aide d'un clou pour s'assurer qu'il ne reviendra pas hanter ses proches. Au fond, une tradition que l'on peut rapprocher de celle bien plus récente des croque-morts chargés de mordre l'orteil des défunts pour s'assurer qu'ils sont bien morts…
Rien d'étonnant à ces légendes lorsqu'on connaît un peu la mythologie romaine : il est fréquent d'y trouver des héros descendant aux Enfers pour en ramener ceux qu'ils aiment. Que l'on pense à Orphée, par exemple… Ou à Lamia, cette pauvre femme, amante de Zeus, qui encourt la jalousie d'Héra : celle-ci fait en sorte que la maîtresse de son mari tue ses propres enfants et lui fait perdre l'esprit. Devenue folle, Lamia se métamorphose alors en un monstre hideux, mi-femme, mi-serpent qui sort de la caverne dans laquelle elle vit recluse pour dévorer les bébés, voire les fœtus… Lamia est d'ailleurs très utilisée pour faire peur aux enfants et les inciter à obéir à leurs parents !
Parmi les monstres qui peuplent les croyances de la Rome antique, on peut également citer les Stryges, des démons femelles à corps d'oiseaux et à tête de femme. Comme Lamia, leurs mets de prédilection sont les nouveaux-nés : quoi de meilleur qu'un festin à base de sang de bébé, je vous le demande ! Le mot stryge devient d'ailleurs une insulte courante jusqu'au Moyen-Age. Une insulte qui a quand même beaucoup plus de classe que « grosse pute » ou « pétasse », vous l'admettrez… Une loi datant du IVe siècle précise même que « si une stryge a dévoré un homme et qu'elle en est convaincue, elle sera condamnée à payer 8 000 deniers » (sic).
Mais il faut attendre 1725 pour que le terme vampire apparaisse pour la première fois dans des écrits officiels. Il est utilisé pour décrire la mort d'un certain Peter Plogojowitz, un paysan serbe revenu du royaume des morts quelques jours après son décès. Et Peter a faim, très faim : il s'empare de son fils et le vide de son sang. Les autres paysans, affolés, décident d'ouvrir sa tombe pour vérifier ou non la présence de la dépouille. Le corps est bien présent, mais dans un état de conservation remarquable. Pour se débarrasser du monstre, on lui enfonce un pieu dans le cœur. Les écrits décrivant cette scène racontent que d'abondantes gerbes de sang éclaboussent alors toute l'assistance…
À partir de la fin du XVIIIe siècle, les grands auteurs s'emparent du mythe. Ainsi Gœthe est-il le premier à écrire un long poème sur ce thème, La Fiancée de Corinthe (1797), même si le terme vampire n'est pas employé une seule fois. Loin d'être un monstre sans cœur assoiffé de sang, le vampire devient un être romantique, victime d'une malédiction. De bourreau, il devient victime sous la plume du poète allemand.
Un siècle plus tard, c'est Bram Stoker qui donne au vampire ses lettres de noblesse en inventant le célèbre Dracula. Le génie de Stoker, c'est de donner au vampire une histoire, un passé, en s'inspirant de Vlad Tepes, le prince sanguinaire de Valachie qui a marqué de son empreinte l'histoire de la Roumanie. Cruel, tyrannique, Vlad est surtout connu pour avoir empalé des milliers d'ennemis dans les alentours de son sinistre château. Il se délectait, dit-on, de la vue de cette forêt de pieux sanguinolents sur lesquels agonisaient longuement les suppliciés. Un personnage historique parfait pour incarner un vampire, en somme !
L'ultime évolution de l'histoire du vampire voit le jour il y a quelques années, sous la plume d'Anne Rice (notamment dans son roman le plus abouti : La Reine des Damnés). Exit le conte Dracula, place à Lestat ! Et celui-ci renoue avec la tradition Gœthienne. Car Lestat n'a plus grand chose à voir avec le Prince des Carpathes : il devient un personnage attachant qui souffre et qui sait aimer. Exit aussi pieux, ail, crucifix et autres fadaises. Seule la lumière et le feu peuvent dorénavant tuer un vampire.
Cette renaissance est salvatrice et apporte une bouffée d'oxygène au mythe. Hélas, Hollywood & co flairent le filon et transforment le vampire en une machine à cash : de Buffy contre les Vampires à True Blood en passant par Angel ou Vampire Diaries, la machine commence néanmoins à s'essouffler…
Et encore, c'est sans parler de la saga Twilight… Des millions d'adolescentes se mettent en transe devant leur écran face à Edward Cullen, ce vampire télépathe, beau et ténébreux, scintillant au soleil, inventé par la romancière Stéphanie Meyer…
– Ah ouais, moi, j'adore Twilight !
– Ta gueule, Jessica !
Aujourd'hui, donc, le mythe du vampire semble être à bout de souffle. La nouvelle mode, c'est les zombies. Des chefs d'œuvre de George Romero à The Walking Dead, on dirait bien que le zombie est en passe de devenir le monstre préféré des écrivains et des réalisateurs en mal de notoriété… Mais les zombies, on se les réserve pour un autre article !