Aujourd'hui, nous allons faire un petit retour dans le temps, disons… Votre enfance. Oui, rappelez-vous : grand-mère Ginette, pépé Paul(1), les diverses premières fois… Dont celle, magique, qui a marqué votre entrée définitive dans le monde adulte : apprendre à rouler sans les stabilisateurs – oui, parfaitement, sans les roulettes ! Normalement, vos essais initiaux se sont révélés plus ou moins catastrophiques, vous faisant embrasser le sol à de nombreuses reprises. Et maintenant, pourriez-vous me dire comment vous avez été soigné ? Je crois entendre quelque chose comme « bisou magique » quelque part dans la salle : c'est de cela dont nous allons traiter ! Votre maman s'approche de vous, catastrophée, et vous rassure en disant que non, ce n'est pas grave, et vous donne ledit baiser pour faire disparaître les éraflures. Aussitôt, vous repartez à l'assaut de votre indomptable destrier, la douloureuse blessure déjà lointaine dans vos souvenirs. Vous veniez de découvrir l'effet placebo du haut de vos cinq ans(2).

Avant de se lancer sur des débats houleux, commençons par définir un peu le placebo. Il s'agit d'une substance qui n'a aucun effet, soit parce que le produit est « inefficace » – par exemple, l'eau ne vous sauvera pas de la grippe car elle n'a aucun pouvoir –, soit parce que le produit n'est pas utile pour lutter contre la maladie – par exemple, prescrire de la vitamine C à quelqu'un souffrant d'Alzheimer n'est pas vraiment utile. Maintenant que c'est fait, nous pouvons parler de l'effet placebo : c'est la différence que l'on observe entre les effets d'un médicament – ou d'une autre substance, ou, comme dans l'exemple initial, d'un geste – et les effets prévus par la pharmacologie. Attention, le terme vient du latin placebo, ce qui signifie « je plairai », c'est-à-dire que les résultats sont bénéfiques au patient !
Ce fameux effet est lié à nombre de causes, mais tentons de résumer « brièvement » les grandes catégories :

  • La relation médecin-patient est relativement importante. En effet, si vous consultez votre généraliste pour des maux de ventre, vous apprécierez beaucoup plus quelqu'un d'aimable et qui se préoccupe de vous plutôt qu'un homme – ou une femme ! – plus distant et froid, puisque vous le sentirez plus « concerné » par votre diagnostic. De plus, se voir expliquer ce dont on souffre permet le plus souvent de savoir contre quoi on lutte et donc de se rassurer – les hypocondriaques mis à part peut-être ! –, au lieu de s'imaginer les pires maladies à la place d'un simple rhume.
    Une autre aspect intéressant de cette relation est la persuasion : en effet, si votre médecin préféré vous parle du traitement miracle contre – au choix – vos maux de ventre, vos pieds gelés, vos migraines à répétition… vous serez plus enclin à croire que ledit médicament est efficace, puisque le professionnel, grâce à son savoir, vous convainc de son intérêt. Vous partirez avec un a priori bien plus positif que si le médecin ne semble pas sûr des effets du produit contre vos maux. Enfin, si vous attendez beaucoup d'un traitement, il y a de fortes chances que le médicament fonctionne mieux pour vous que pour une personne avec les mêmes symptômes qui sera persuadée qu'il est trop tard pour agir(3).

  • Des facteurs « extérieurs » au médicament en lui-même interviennent aussi sur son efficacité : par exemple, la maladie traitée peut avoir des réactions plus ou moins importantes à l'effet placebo. En effet, des maladies bénignes comme les rhumatismes ont des réponses très élevées, car considérées plus facilement guérissables que la septicémie à l'époque de l'étude(4). Un autre médecin, Howard M. Spiro, a montré que si la réponse placebo est en effet différente selon les maladies – il est relativement difficile de faire revenir des tissus nécrosés par la simple volonté ! –, le côté « je vais t'aider à mieux supporter la douleur » reste efficace quelque soit le mal dont on souffre, du moment que votre médecin vous a suffisamment rassuré – voir ci-dessus, je ne vais pas y revenir sinon nous n'allons pas avancer !
    La personnalité du patient peut jouer aussi : des gens « crédules » auront plus tendance à bénéficier de l'effet placebo que des sceptiques convaincus, bien que pour le moment, aucun trait de caractère précis ne ressort chez les personnes où les réponses sont les plus importantes.

  • Dernière catégorie valant le détour : l'apparence du médicament. Contrairement à ce que l'on pense, la recherche ne consiste pas seulement à trouver la molécule efficace pour soigner, mais aussi à trouver la présentation qui améliorera son efficacité. On est souvent convaincu qu'une piqûre est plus efficace qu'un cachet à prendre oralement, mais la couleur du comprimé peut également jouer sur sa signification ! Une expérience plutôt sympathique consistait à faire prendre à des cobayes un comprimé de lactose – autant dire que c'est relativement inoffensif – teint avec deux couleurs : d'abord du rouge, puis un bleu. L'un a provoqué de l'irritabilité, de la colère et de nombreux signes d'énervement là où l'autre entraînait la somnolence des cobayes… Le petit jeu du jour consiste donc à retrouver qui a provoqué quoi(5) ! Pour aller un peu plus loin, retenez que le blanc permet de lutter contre la douleur – voyez vos cachets de paracétamol ! –, que le jaune et le orange vous simulent grandement – ah, les vitamines, les ampoules… –, le lavande a sensiblement le même rôle que le LSD – oh, la belle bleue ! – et qu'enfin, le gris n'inspire pas grand-chose… Ah oui, si vous voulez que votre produit soit vu comme efficace, il faut qu'il soit relativement gros(6) et plutôt présenté sous la forme d'une gélule que d'un comprimé.

  1. (1) Évidemment, ces prénoms sont remplaçables par ceux des membres de votre famille pour améliorer l'exemple.
  2. (2) De nouveau, remplacez cet âge des plus arbitraires par celui de votre découverte, sinon, le côté « oh tiens, on dirait mon histoire ! » est moins intéressant.
  3. (3) Certains partent en effet du principe que depuis le temps qu'ils souffrent, un médicament efficace ne changera pas leur situation.
  4. (4) L'article de Haas, Das Placeboproblem, paru en 1959, prend différentes maladies et compare les taux de réponse placebo.
  5. (5) Pour les moins chercheurs : le rouge étant une couleur vive, elle a plus tendance à exciter que le bleu, qui est une couleur dite froide.
  6. (6) Attention, il faut quand même que votre futur patient puisse l'avaler !