Fakirs enterrés et yoguis
Comment font les fakirs et yoguis pour survivre enterrés ?
Certains ont entendu parler de ces fakirs hindous qui se firent enterrer vifs plusieurs mois, au terme desquels leur corps serait exhumé, à une date convenue. Tombés en catalepsie, comme morts, ils furent ensevelis en public. Plusieurs semaines après, à la date fixée, les corps furent exhumés, les fakirs revinrent à la vie. Au XIXe siècle le sadhou Haridas se fit, dans un état de mort apparente, enterrer et emmurer en présence du Maharadjah Ranjeet Singh ; des sentinelles gardèrent le tombeau. Quarante jours plus tard, le corps en fut extirpé ; lumière et chaleur le ramenèrent à la vie.
Ces hommes capables d'un tel miracle étaient des yoguis. Ils avaient accompli ce tour de force parce qu'ils maîtrisaient une pratique nommée खेचरी मुद्रा khétcharî moudrâ.
Le Yoga œuvre sur des postures (âsana), à quoi s'associe le contrôle de souffles (prāṇāyāma). Il comprend aussi des signes codifiés (moudrâ) ; enfin, des ligatures (bandha). Les moudrâ, c'est-à-dire sceaux, sont l'éthique posturale : ils concernent l'état mental qui doit être observé dans les postures. Les bandha, c'est-à-dire fermer, sont l'interruption volontaire d'une fonction du corps.
Par exemple, une ligature peut être appliquée à la langue. Ce sera jihva bandha : replier la langue de sorte que le bout de la langue touche la luette ; pousser la luette avec le bout de la langue. Les fonctions de la langue vont s'interrompre. La salivation, la déglutition, vont s'arrêter ; mais aussi les pensées. Quand on pratique jihva bandha, les pensées s'arrêtent. Celui qui arrête paroles & pensées purifie la parole & le mental. Voici un exercice simple, & sans contre-indication.
En revanche, seuls quelques yoguis éprouvés peuvent, par de lourds sacrifices et sous la conduite d'un guide, conquérir et apposer le sceau par lequel ils suspendront leur vie.
Quand la langue rentre derrière la luette et que le bout de la langue entre dans la trachée, toutes les fonctions physiologiques s'arrêtent. C'est Khétcharî moudrâ. On ne le fait jamais sans un enseignant. D'abord, comment mettre le bout de la langue dans la trachée ? Touchez du pouce, sous le larynx, le creux à la base de votre cou ; comment la langue peut-elle descendre jusqu'ici ?
En tranchant le frein.
Khétcharî moudrâ vient de la racine sanscrite क्षार kshar : caustique, corrosif, périr. Son apprentissage, trancher le frein de la langue, va prendre six mois. Il requiert des instruments spéciaux. Quand le frein sera tranché, la pointe de la langue pourra passer devant le nez et atteindre le milieu du front. Le yogin aura alors deux ascèses possible : soit, s'introduire la langue en haut du palais ; cette pratique, soutenue, détruira « la maladie, la vieillesse et la mort ». Elle permettra de savourer le सोम Soma – le Nectar des Dieux. Soit, s'introduire la langue dans la trachée. Mais avant ceci…
Le premier jour, la langue est tirée ; l'on entaille son frein « de l'épaisseur d'un cheveu », un millimètre environ. Puis on dépose un du sel gemme dans la plaie, pour éviter que le frein ne se recolle, ne cicatrise. Sept jours plus tard, nouvelle entaille. Selon le traité Haṭha Yoga Pradîpikâ : « On doit répéter l'opération dans le même ordre, régulièrement, pendant six mois, et au bout de six mois, le tendon à la base de la langue est complètement coupé. »
Au terme de cet apprentissage très douloureux, le yogui va, sous la conduite d'un guide, se mettre à la pratique. Où les pensées s'arrêtaient par l'exercice facile de Jihva bandha, langue contre luette, tout va s'arrêter avec Khétcharî moudrâ, langue contre la trachée. Les sens de perception vont s'interrompre, et avec eux le vieillissement ; car ce sont nos sens de perception qui nous font vieillir. En même temps, le mental va devenir vide ; donc, il faut savoir remettre en route les fonctions biologiques. Sinon le disciple resterait « dans le vide ». C'est pourquoi un enseignant est indispensable. Parmi les maîtres qui réalisèrent cette ascèse, nous pouvons citer : Śrî T. Krishnamâchârya (1888-1989).
Avec cette pratique, des yoguis sont restés un an sous terre.