L'« expérience interdite », voilà un terme que l'on croirait extrait d'un roman de fantasy ! Et pourtant, il s'agit d'un sujet extrêmement sérieux qui passionna les foules et les puissants de ce monde pendant des siècles.
Le terme vient d'un livre de Roger Shattuck qui décrit les hommes sauvages. Le terme s'est ensuite généralisé à l'étude de l'enfant en isolation, pour savoir quelle langue il parlerait si on ne lui apprenait rien.

Bien évidemment, comme pour tout ce qui est interdit, il fallait que quelqu'un fasse l'essai. En fait, de nombreuses personnes ont tenté de trouver la langue originelle(1) de l'Homme : de l'égyptien Psammetichus à James IV d'Écosse en passant par l'empereur moghol Akbar, la liste est longue !

D'autant que la mythologie et l'Histoire regorgent d'enfants sauvages : nous connaissons tous le petit homme Mowgli du Livre de la jungle, mais aussi Romulus et Rémus les fondateurs de Rome, ou encore Jupiter buvant le lait d'Amalthée. Et peut-être que nos esprits se souviennent d'anciennes lectures de Rousseau, qui décrivaient les enfants ours et loups retrouvés dans la nature à son époque.

L'une des plus intéressantes expériences est celle menée par Frédéric II du Saint Empire, surnommé Stupor Mondi (« la merveille du monde ») par ses contemporains. Cet homme cultivé parlait couramment le latin, l'allemand, le français, le grec, le sicilien, le normand, l'hébreu ainsi que l'arabe et se demandait quelle était la « langue de Dieu ».

En 1211, il prit donc des enfants (le nombre varie de deux à plusieurs douzaines selon les récits) et les cloisonna. Le moine Salimbene nous raconte la suite :

Aussi demanda-t-il à des nourrices d'élever les enfants, de les baigner, de les laver, mais en aucune façon de babiller avec eux ou de leur parler, car il voulait savoir s'ils parleraient l'hébreu, le plus ancien des langages ou le grec, ou le latin, ou l'arabe, ou peut-être encore le langage des parents dont ils étaient issus.
Mais il œuvra pour rien, car tous les enfants moururent… En effet, ils ne pouvaient pas survivre sans les visages souriants, les caresses et les paroles pleines d'amour de leurs nourrices.

— Salimbene, Chronique

Même si peu de sources confirment l'existence de cette expérience, l'histoire resta et fascine encore de nos jours.


  1. (1) Que les lecteurs de la Genèse nommeront « langue adamique » pour souligner son caractère primitif, au sens « première ».