Comme le dit jadis, par un matin de janvier au début du XXe siècle, monsieur Ernst Zermelo : Brrr, fait pas chaud aujourd'hui.

Mais qu'à cela ne tienne ! , ajouta-t-il avant de s'en retourner gratter derrière son bureau en bois d'acacia(1). Axiomatiser(2) la théorie des ensembles, et par la même occasion toutes les mathématiques, c'est pas une mince affaire. Alors, entre deux complétions, pour se détendre, il travaille sur d'autres « petits » théorèmes. C'est en 1904 qu'il publie une « petite » démonstration, celui du théorème de bon ordre, qui finira par s'appeler théorème de Zermelo(3).

Donne-moi un ensemble, je te définirai un bon ordre. C'est-à-dire que n'importe quel sous-ensemble (non-vide) dudit ensemble contiendra un plus petit élément.

— Théorème de Zermelo

Ouais, bon, ça a pas l'air comme ça, mais d'une part c'est pas si simple à démontrer, d'autre part, c'est tout à fait contre-intuitif. Ben oui. Un plus petit élément sur \(\mathbb{R}\), c'est déjà bizarre. Mais sur n'importe quel sous-ensemble de \(\mathbb{R}\)… alors, la communauté mathématique réagit avec véhémence, et pointe du doigt une toute petite phrase de rien du tout : l'énonciation par Zermelo de l'existence d'une fonction « de choix »(4) pour tout ensemble. Dès lors, on regarde cette histoire de choix avec un œil suspicieux. L'infini pose encore une fois problème. Car si l'on peut choisir un bonbon dans une boîte de bonbons, choisir deux bonbons dans deux boîtes de bonbons… peut continuer comme ça jusqu'à l'infini ?
Zermelo répond alors à ses détracteurs Bah, j'ai admis cette propriété, c'est un axiome, quoi. On verra plus tard pour les explications, j'en ai encore pour quatre ans et je suis à vous.

Et en effet, en 1908, Ernst Zermelo publie un papier dans lequel il énonce 7 axiomes :

  • Axiome d'extensionnalité : si tout élément de \(A\) appartient à \(B\) et vice versa, alors \(A = B\) ;
  • Axiome des ensembles élémentaires : il existe un unique ensemble vide, pour tout \(a\) définissable il existe un unique ensemble singleton \({a}\), et pour tout \(a\), \(b\) définissables il existe un unique ensemble \({a,b}\) ;
  • Axiome de séparation : si une propriété \(P\) est définie sur un ensemble \(A\), alors il existe un sous-ensemble de \(A\) tel que \(P\) soit vraie pour tout élément de ce sous-ensemble ;
  • Axiome de l'ensemble des parties : pour tout ensemble \(A\), il existe un ensemble \(A'\) dont les éléments sont les sous-ensembles de \(A\) ;
  • Axiome de la réunion : pour tout ensemble \(A\), il existe un ensemble \(∪A\) dont les éléments sont les éléments de chacun des éléments de \(A\)(5) ;
  • Axiome de l'infini : il existe un ensemble qui contient l'ensemble vide et qui est stable par l'application de la fonction \(x -> x∪{x}\) ;
  • Et pour finir, le fameux axiome du choix : pour un ensemble \(A\), il existe une fonction \(f\) telle que si \(x ∈ A, f(x) ∈ x\), donc une fonction qui « choisit » un élément dans chaque ensemble.

Et avec tout ça, on peut développer la théorie des ensembles, mais aussi les théories d'analyses, de géométrie, d'algèbre… en bref, toutes les mathématiques(6). Et en plus, cela permet d'éviter les paradoxes comme celui de Russel. Le seul problème, c'est cet axiome du choix. Non content d'impliquer le théorème de Zermelo, il implique aussi d'autres résultats fâcheux, comme l'existence de parties de \(\mathbb{R}\) non mesurables, ou dans une version plus bizarre encore le paradoxe de Banach-Tarsky(7). En bref, il a l'air un peu louche ; les mathématiciens prennent donc soin à chaque nouveau théorème de préciser si oui ou non ils ont besoin d'admettre l'axiome « de Zermelo » pour le démontrer. Deux branches des mathématiques(8) se développent, et certains théorèmes ne sont vrais que dans l'une ou l'autre de ces branches (par exemple, sans l'axiome du choix, une réunion d'un nombre dénombrable d'ensembles dénombrables peut être indénombrable(9)). Il faudra attendre Kurt Gödel et sa notion de démontrabilité pour pouvoir affirmer en 1938 que les résultats obtenus avec l'axiome du choix, bien que souvent perturbants, ne sont pas contradictoires.

Paul Cohen complète cela en 1963 en prouvant que la négation de l'axiome du choix n'est pas non plus contradictoire ; il mérite donc bien son titre d'axiome car il n'est ni vrai, ni faux.

Aujourd'hui encore, bien que cet axiome soit communément admis, notamment dans les théories d'algèbre (car pour trouver une base à tout espace vectoriel, vous avez besoin de l'axiome du choix), on le manipule toujours avec des pincettes.

Et vous voilà arrivé au bout de cet article. Vous connaissez désormais la base de toute la théorie des ensembles de Zermelo (Z), souvent appelée Zermelo-Fraenkel (ZF) quand on y ajoute la théorie des ordinaux. Si vous admettez l'axiome du choix, vous obtenez la théorie ZFC, qui n'est ni plus ni moins que l'univers mathématique que vous explorez depuis la maternelle jusqu'à vos études supérieures. Eh oui. Ces heures passées à réviser, à faire des antisèches, à rentrer ses formules dans sa calculette… tout ça pour apprendre des petits corollaires évidents des propriétés qui se trouvent juste là(10).


  1. (1) Cet article ne cite pas suffisamment ses sources.
  2. (2) 21 points au Scrabble.
  3. (3) 17 points au Scrabble.
  4. (4) C'est pas comme ça qu'il le dit, évidement, vous verrez plus bas une explication de ce que « de choix » veut dire.
  5. (5) Il faut là faire un petit détour pour bien comprendre ce que cela signifie. D'après Zermelo, tout objet mathématique peut se définir sous la forme d'un ensemble, et le reste de son papier est consacré à cette constatation. Ici, \(A\) est donc un ensemble… et chacun de ses éléments est lui aussi un ensemble. On peut donc parler d'un élément d'un élément de \(A\).
  6. (6) À l'exception cependant de la théorie des ordinaux et des grands cardinaux.
  7. (7) Un peu d'auto-publicité ne nuit pas.
  8. (8) 29 points au Scrabble.
  9. (9) 19 points au Scrabble.
  10. (10) 2 points au Scrabble.