Qu'ois-je ?

Un type, venu d'on ne sait-z-où, prétend être le fils de Dieu ? Et pour prouver ses dires, il multiplie les petits pains ?

Peuh, et ça prétend faire des miracles. Moi aussi j'peux l'faire. Messieurs Banach et Tarski l'ont démontré en 1924.

Mec. Tu vois cette boule, là ? Eh, ben, regarde, je la coupe en plein de morceaux, tu vois. Ensuite, je les recolle ensemble d'une autre manière ; j'ai rien rajouté, j'ai rien enlevé, j'ai juste déplacé. Et là, regarde, j'obtiens deux boules de la même taille que la première. Eh ouais ma gueule, j'ai obtenu deux boules avec une seule boule. Et c'est qui maintenant le fils de Dieu ?

— Banach et Tarski

Le bien nommé paradoxe de Banach-Tarski permet effectivement de multiplier les petits pains, et ce, à l'infini. Il faut cependant, comme dans toute démonstration mathématique, bien penser à énoncer ses hypothèse :

  • On se place dans un R-espace vectoriel de dimension supérieure ou égale à 3(1) ;
  • On le munit de sa norme canonique(2) ;
  • On admet l'axiome du choix(3) ;
  • On admet qu'un petit pain est borné et d'intérieur non-vide(4).

Et maintenant, on peut démontrer le paradoxe(5), c'est-à-dire qu'en découpant notre boule de manière minutieuse, et en la recomposant de manière tout aussi minutieuse, on peut en obtenir deux de la même taille. On multiplie donc les boules autant de fois qu'on veut.
Pour faire pareil avec des petits pains, il « suffit » de remarquer qu'un petit pain est plus grand qu'une bille, mais plus petit qu'une boule de bowling. Alors, si on peut multiplier des billes et des boules, on peut bien multiplier les petits pains. Jésus peut aller se rhabiller.

Je vous vois sceptiques. Vous me regardez avec un air bizarre(6).

Attends, ça marche vraiment ton truc ?

— Vous

Oui. Ça marche. Mathématiquement, en tout cas. Physiquement, évidemment, ça pose un petit problème. En effet, au début on a un petit pain, à la fin on a deux petits pains. On a donc créé de la matière. Oups.
Bon, mais alors, il est où le problème ? Ben c'est-à-dire que nous, on travaille sur des objets mathématiques, qui ont bien un volume, mais comment définir la quantité de matière d'une boule qui a une infinité de points ? Mathématiquement, il n'existe pas de principe de conservation de la matière, puisqu'il n'y a pas de matière. Hop. Ça c'est réglé.
Oui. Mais. Ça fait pas nos affaires. On a toujours un truc dans le coin de notre tête qui nous titille. En effet, on a bel et bien créé du volume, et ce, seulement en déplaçant des parties de boule. C'est bizarre. Un déplacement, en mathématiques comme dans la vraie vie, c'est une fonction qui ne modifie pas le volume… on a donc créé du volume sans modifier le volume.
J'entends d'ici votre cerveau faire argl.
Ne vous inquiétez pas, la résolution de ce paradoxe est simple : en effet, vous relirez cet article, et vous constaterez que j'ai jamais dit que les morceaux qu'on découpait avaient un volume. Indépendamment, les parties de la boule ne sont en vérité pas mesurables, et ce, même si recomposées elle forment un volume très classique. N'essayez même pas d'imaginer à quoi ces parties peuvent ressembler. Elles ne ressemblent à rien. Elles n'ont pas de volume, pas de forme, elles sont abstraites. Mais mathématiquement, elles existent. Vous êtes encore là ?

Ah, oui, vous revoilà, avec vos gros sabots :

Ouais, d'accord, si tu veux. Mais ça sert à quoi ton truc ?

— Encore vous

Un physicien vous dira tout de suite que ça ne sert à rien. Aucune réalité physique, complètement abstrait, c'est inutile. Un philosophe vous dira que cela montre les limites de notre intuition, et de nos capacités d'abstraction. Enfin, un mathématicien pointera du doigt l'utilisation de l'axiome du choix.
Ce résultat est un bel exemple du genre de problèmes que pose cet axiome. On a ici une démonstration qui tient la route, mais qui nous semble tout à fait contre-intuitive. Un paradoxe(7). Si vous deviez ne retenir qu'une seule chose de cet article, la voilà : l'axiome du choix, bien que très pratique, implique plein de propriétés paradoxales, comme celle-ci.

On peut donc en conclure que Jésus était vraiment très en avance sur son temps, et avait simplement pris l'axiome du choix(8) comme parole d'évangile, 19 siècles avant que Monsieur Zermelo ne l'énonce. Ah là là. Sacré Jésus.


  1. (1) Késaco ? R-espace vectoriel ? Bon, ne vous torturez pas trop, dites-vous simplement qu'on travaille dans « l'espace 3D », tel qu'il est représenté en mathématiques.
  2. (2) Késaco ? Norme canonique ? Bon, ne vous torturez pas trop, dites-vous simplement qu'on travaille avec des mesures de longueur qui sont celles que l'on utilise dans la vie de tous les jours.
  3. (3) Késaco ? Axiome du choix ? Bon, ne vous torturez pas trop, dites-vous simplement que grâce à ça on peut choisir un élément dans un ensemble, même dans un ensemble infini, ou même dans une infinité d'ensemble infinis. Il faut pas croire, cet axiome, qui paraît très simple, implique des tas de choses très paradoxales, et il est la source de ce paradoxe.
  4. (4) Késaco ? Borné et non-vide ? Bon, ne vous torturez pas trop, dites-vous simplement que ça veut dire qu'un petit pain a un volume normal.
  5. (5) Je ne vous le ferai pas ici, unzio parce que c'est long et pas si intéressant que ça, deuzio parce que la démonstration complète fait partie de mes sources, et se trouve donc en bas de l'article.
  6. (6) Ou Carabaffe si vous préférez le type eau.
  7. (7) Au sens grec du terme, « contraire à l'opinion commune ».
  8. (8)

    J'ai beaucoup parlé de cet axiome. Il est fort probable que j'y consacre un omnilogisme très prochainement.
    — Eh, dis voir, tu nous l'as déjà fait le coup de l'omnilogisme à paraître, on attend toujours ton article sur le bépo.
    — Décidément, vous intervîntes à de nombreuses reprises au cours de ce texte. Et puis vous chipotez, cela ne fait que deux ans que je vous fais poireauter. Je peux d'ores et déjà vous donner une date : mon prochain papier sera publié pour les calendes grecques.