Que retenons-nous, Français, de la guerre de Cent Ans, si ce n'est une longue liste de défaites françaises ? Ces défaites, glorieuses dans l'imaginaire collectif, de chevaliers dans leur armure, si pressés d'en découdre. Ce noble empressement cause toujours la défaite finale, si rageante à entendre dans nos esprits d'écoliers. Ah ! Que n'avons entendu résonner à nos oreilles les noms de Poitiers, Crécy, Azincourt comme autant de glas…

Fort heureusement, une bergère se serait levée en entendant la voix du Seigneur, aurait fait relever la tête à un royaume, à un roitelet, et aurait bouté l'Anglois hors du continent.
Oui, mais voilà, la bergère est cuite à point sur la place du Vieux-Marché à Rouen, et l'Anglois est toujours là. Comment alors a-t-on chassé nos voisins mangeurs de jelly et remis le royaume de France sous contrôle des descendants de Saint Louis ?
Par la guerre, bien entendu. La bataille victorieuse de Castillon est la bataille qui clôt ce vilain chapitre de notre histoire commune avec l'Albion.

Après une campagne militaire en Normandie (auparavant anglaise) en 1450, les armées françaises tournent leurs efforts vers le sud-ouest de la France(1) qui est aux mains des Anglais. La conquête est effectuée, mais le sort des conquis est moins avantageux sous la tutelle du monarque français et les « Guyennais » appellent l'Anglais à l'aide. Nous sommes alors en l'an de grâce 1453.

Le roi d'Angleterre charge le vieux John Talbot(2) de la reconquête. Laquelle s'effectue bien, les villes de Bordeaux, puis de Castillon sont reprises. Cependant, la situation anglaise, au bord d'une guerre civile, rend la poursuite des opérations compliquées. Les Français réagissent et décident de contre-attaquer en envoyant quatre colonnes vers la Guyenne. Ils emploient alors une stratégie différente : ils ne conquièrent plus les places fortes une à une jusqu'à se rendre maîtres du pays mais cherchent à anéantir l'armée anglaise en une bataille. Les armées françaises comptent alors les frères Bureau, Jean et Gaspard, grands maîtres de l'artillerie de Charles VII ayant déjà combattu en Guyenne.

Quant aux forces en présence, les Anglais disposent de 6 000 hommes, renforcés à la dernière minute par 3 000 hommes fournis par les contingents gascons. Les Français disposent quant à eux d'environ 10 000 hommes à pied, complétés de 1800 hommes montés, de francs archers, mais surtout d'une puissante artillerie de 300 pièces. Enfin, les Français pouvaient compter sur un détachement breton de 1000 hommes aidés de 240 cavaliers. C'est donc en infériorité numérique que Talbot, habitué des mouvements surprises, attaque un camp français fortifié et bien situé.

En effet, le 17 juillet 1453, ayant appris l'arrivée des Français, Talbot décide d'attaquer. Parti de Bordeaux, il passe à l'action et bouscule une garnison française qui fuit jusqu'à son camp. Mais les Anglais ne les poursuivent pas et se reposent avant d'attaquer le camp français. Lorsque Talbot apprend que les Français abandonnent leur camp, il se précipite à l'attaque pour les mettre en déroute. Mais ceux-ci l'accueillent très calmement, selon les récits de l'époque. En effet, la nouvelle de la retraite était fausse. L'attaque devient vite un corps à corps confus. Les Anglais tentent de planter l'étendard de Talbot à l'entrée du camp français : échec cuisant.

C'est alors que l'artillerie française entre en action, les pièces tirent de la mitraille, exterminant des Anglais serrés et sans possibilité de mise à couvert ou de retraite. Dans la précipitation, l'artillerie anglaise n'a pas pu arriver et la déroute se profile. Elle se confirme quand l'armée bretonne charge les survivants anglais. Les Français passent alors à l'attaque. Le vieux Talbot est désarçonné et tué par un archer français(3), de même que son fils, Lord L'Isle.
Les survivants s'enfuient, parfois en se noyant dans la Dordogne, et rejoignent Castillon. Laquelle est assiégée et se rend le lendemain. Les Anglais signent leur reddition finale quelques jours plus tard.

Les conséquences de cette bataille sont multiples. Talbot mort, les villes encore tenues par les Anglais se rendent sans combattre. Ensuite, l'autorité du Roi de France, jadis incertaine, s'assoit désormais un peu plus sur l'Aquitaine. Les habitants de Guyenne perdent tous leurs privilèges. Les notables sont exilés, pour un temps. D'autre part, c'est la conception de la guerre qui est bouleversée par le rôle que l'artillerie a joué dans la bataille. C'est le début de la fin de la guerre médiévale.

Ah oui, elle met également fin à un conflit qui aura duré presque cent ans, mais suivez un peu !


  1. (1) La Guyenne, qui correspond à l'actuelle Aquitaine, est anglaise historiquement parlant depuis le remariage de la célèbre Aliénor d'Aquitaine.
  2. (2) Il a entre 63 et 69 ans selon les estimations. Il a dirigé le siège d'Orléans et a participé à la bataille du Patay. Tout cela ayant un rapport avec une certaine bergère cuite à point.
  3. (3) Dont l'histoire a retenu le nom : Michel Pérunin.