Charlie, un an après
En 2015, dans la foulée d'attentats ayant touché la rédaction d'un journal satirique, une épidémie s'est déclarée en France, contaminant rapidement des millions de victimes sous le choc et prenant de cours l'ensemble des services de santé publics dépassés par l'ampleur de ce phénomène inédit. Le virus, se propageant à une vitesse fulgurante à travers les médias et les réseaux sociaux, se caractérise cliniquement par une perte totale de l'esprit critique, une hyperémotivité empêchant toute prise de distance et, pour le symptôme le plus grave, par une forte propension à répéter en boucle « Je suis Charlie ». Un an plus tard, quelles conclusions faut-il tirer pour qu'une telle catastrophe ne se reproduise plus ? Bilan et témoignages.
Emma s'en souvient encore. Résidente d'un quartier chic du boulevard Voltaire, un des grands axes traversés par les manifestations des 11 et 12 janvier 2015 organisées en réponse aux attaques de Charlie Hebdo, cette jolie parisienne a vu des millions de personnes défiler en bas de sa fenêtre. « J'avais vraiment peur. Ils étaient juste en bas de chez moi, avec leurs pancartes et leurs crayons en l'air. C'était horrible, on se serait cru dans The Walking Dead ». Elle fait une pause, visiblement encore émue par ces douloureux souvenirs. « J'ai barricadé ma porte et mis du scotch autour de toutes mes fenêtres. Je ne savais pas si c'était dans l'air, du coup j'ai pris des précautions pour ne pas être contaminée moi aussi. Puis j'ai éteint ma télévision et me suis déconnectée de Facebook pendant plus d'un mois et là ça allait beaucoup mieux. ». Comme Emma, de nombreuses personnes ne savent pas dire ce qui a été le plus traumatisant pour eux en ce début d'année 2015 : les attentats contre Charlie Hebdo ou bien les mouvements de masse qui ont suivi.
En effet, le nombre de foyers infectieux qui se sont spontanément déclarés dans la plupart des villes françaises ainsi qu'à l'étranger ont fait craindre une pandémie particulièrement virulente. « Je n'ai jamais vu un tel pouvoir de contagion et surtout une propagation aussi rapide. Franchement, je ne sais pas comment il a fait ! » s'exclame Ebola, épaté par la performance de son compère. Pourtant, le virus était la star des médias en 2014 lors de ses débuts en Afrique de l'Ouest mais est vite passé de mode. « C'est difficile de faire la une plus d'une semaine consécutive vous savez. J'ai fait un score mortel pourtant mais je n'aurais pas dû choisir l'Afrique comme terrain de jeu. Il aurait fallu queje fasse comme Charlie, que je sévisse en France ou aux States. Là on se serait souvenu de moi. » déplore Ebola avant de conclure « De toutes façons, pas de regret, j'ai fait du mieux que je pouvais mais on ne joue pas dans la même catégorie. Moi je fais cracher du sang mais lui, il attaque carrément le cerveau des gens. Il y a quand même une certaine déontologie à respecter chez les virus et le cerveau, je me refuse d'y toucher. ».
Il est vrai que les services publics ont été très vite débordés par la situation. Fort heureusement depuis, des mesures ont été prises par le gouvernement pour que ce cas de figure n'arrive plus à l'avenir. L'état d'urgence décrété suite aux attaques du 13 novembre à Paris est une de ces mesures. Pour Manuel Valls, cela a été un franc succès : « Avec l'état d'urgence, les gens n'ont pas pu se rassembler pour manifester et ne se sont pas contaminés l'un l'autre. ». Avant d'ajouter discrètement sur le ton de la confidence : « En plus, pendant ce tempslà, on passe quelques lois liberticides et on évite de parler du chômage et de la précarité, c'est tout bénef pour nous ! ».
Au-delà des aspects politiques évoqués par le Premier Ministre, on peut s'interroger sur la nature du virus. En a-ton réellement fini avec lui ou peut-il revenir sous d'autres formes ? « Il semble que le virus soit capable de muter. En novembre, les gens ne disaient plus «Je suis Charlie » mais « Je suis Paris » ce qui nous laisse penser que le charlisme a les caractéristiques de la grippe saisonnière à ceci près qu'il revient à chaque nouvel attentat sous une forme un peu différente» souligne M. Larnac, directeur de recherche à l'Institut Pasteur. « Ce qui est étonnant par contre, c'est qu'il ne semble agir que quand il se passe un drame en France. Quand il y a des attentats ailleurs, le virus n'a aucun effet et les consciences ne sont pas prises d'assaut. Nous cherchons à comprendre les raisons de ce double-standard mais nous n'avons aucune piste sérieuse pour le moment à part peut-être l'influence des médias… ».
Alors comment se prémunir contre le charlisme ? Il ne semble pas y avoir de vaccins efficaces pour l'instant. La seule solution semble être essentiellement d'ordre psychologique. C'est du moins ce que nous affirme Bachar El-Assad, le président syrien : « Nous sommes immunisés contre le charlisme chez nous. Il faut dire que ça fait plus de 5 ans que notre pays est ravagé par le même genre de types qui ont commis les attentats de janvier et novembre en France. Sauf que chez nous c'est tous les jours et ils sont des milliers. Du coup on finit par s'habituer. ».
La solution pour les personnes souffrant de charlisme se trouverait donc à l'étranger : Irak, Syrie, Libye, Nigéria. Autant de pays tous les jours confrontés au terrorisme – parrainé et soutenu par les gouvernements occidentaux comme le nôtre pour de sombres desseins géopolitiques – où les habitants ont appris à souffrir dignement en silence et à résister en attendant que l'orage passe, un jour peut-être. Laissons le mot de la fin à Bachar El-Assad : « Si vous voulez guérir du charlisme, vous pouvez venir chez nous. Par contre, ne venez pas avec des crayons, ça ne sert à rien ici. Il vaut mieux prendre des armes, c'est plus efficace. Et si vous ne savez pas vous en servir, on va vous apprendre… ».