Étymologie en tartine
Quelle est l'origine du mot rillettes ?
Mille excuses au lecteur affamé, ce billet n'a pas vocation apéritive. Il va donc falloir se nourrir d'antiquité, se délecter de culture, et oublier les besoins vitaux pour plonger pleinement dans la découverte intellectuelle que chacun poursuit dans son cheminement omnilogiste. Après ce captatio bienvenu, il convient assurément de répondre au sujet posé de manière schizophrénique à lui-même par votre serviteur : les rillettes, d'où ça vient ?
De loin. On sait parfaitement que les Romains de l'Antiquité connaissaient fort bien la pratique du salage et du fumage(1). Là où les descriptions historiques représentent la célèbre saucisse – comme son acolyte saucisson – les fouilles archéologiques ont excavé de petite tablettes(2) ayant servi à un but gastronomique puisque retrouvées dans les quartiers des esclaves, ou dans les cuisines des villæ. Ces tablettes ne sont pas inconnues des spécialistes : elles sont d'ordinaire fines, rigides et droites, et répondent au petit nom de regula(3). On retrouve le radical qui donnera le français « rigide », ou encore la « règle » – dans son acception abstraite comme matérielle. Par déformation, on trouvera le terme reille dans certaines régions françaises.
Le charcutier qui sommeille au cœur du lecteur sait de quoi il retourne. Il n'ignore rien de la fabrication des rillettes et est fier de s'exclamer qu'en effet, le met est préparé suite à un effilochage de la chair, par long raclement le long d'une tablette en bois.
Le lien logique est assez simple à comprendre. En étymologie, une partie du travail consiste en une analyse presque graphique du mot, suivie d'une analyse sémantique, pour enfin étudier la phonétique du terme en question. Cette dernière phase entre en jeu ici : une déformation de prononciation peut aisément amener un [g] à être dit [j](4). Dès lors, notre regula devient « reiula » ; pour peu qu'on y accole un suffixe hypocoristique on obtient alors un pimpant « reiulette ». Lisez vite et vous avez vos rillettes(5).
Il pourra sembler aux étymologistes non avertis que le raisonnement est un peu capillotracté, mais il fait aujourd'hui consensus parmi les historiens-charcutiers, s'il en est…