Salut à toi, lecteur toujours fidèle !
Salut à toi, lecteur occasionnel !
Salut à toi, lecteur qu'on dépucelle !
Salut à toi, quatrième rime en [Ɛl](1) !

Figurez-vous qu'hier soir, j'errais mollement dans mon somptueux six pièces aux Invalides, traînant avec langueur un morne ennui dominical(2), cherchant à mon corps défendant(3) une quelconque activité productive propre à tromper mon ennui(4).

Bien sûr, il m'eut été possible de poser avec délicatesse mon séant sur ce somptueux fauteuil de bureau qu'Amélie a tenu à m'offrir pour me remercier de cette nuit passée ensemble, de prendre en main le stylo-plume Mont Blanc qu'Antoine m'a offert pour célébrer notre amitié et d'écrire sur ce vélin négligemment posé sur mon bureau Louis XV un de ces badins traits d'esprits qui ravit les lecteurs que vous êtes. Mais non ; j'errais.

J'errais avec application, soit dit en passant. Avec une démarche chaloupée, vêtu d'une simple robe de chambre de velours noir, un verre en cristal à la main, j'en faisais distraitement tourner le contenu, un Pyttyvaich Duncan Taylor offert par Marie-Christine, dont les reflets boisés rappelaient à mes souvenirs ces folles escapades irlandaises avec Aileen et ces chaudes soirées d'automne au coin du feu… Ah, folle jeunesse… Quand tout à coup :

— Aaaaïïïïïeeeeuuh ! Put… !

Devant la violence du propos, permettez-moi de vous parler de ma nouvelle passion, Anne-Marie. Courbes sensuelles, un cou long et fin, une voix cristalline et une chaleur qui ne se retrouve que chez les Canadiennes… non, vraiment, c'est une très belle guitare. Bon, où en étions-nous ?

—… de fils de… !

Ahem.

Sinon, chez vous, fait beau ?

Voilà, voilà…

(jette un œil)

— de gros bât… !

Ça ne devrait plus durer trop longtemps.

—… d'sa mère !

Voilà ! Bon, vous avez compris, je me suis violemment escgoné le petit doigt de pied sur le coin de ma table basse, et ça fait un mal de chien… pourquoi ?

Pourquoi l'heurt de ce petit appendice insignifiant fait-il surgir en nous de si horribles vagues de douleurs ? Pourquoi lui et pas mon pouce ? Ou celui de mon voisin(5) ?

C'est sur ces considérations que je me dirigeais vers mon bureau, d'une démarche clopinante, mais gracieuse, afin d'y compulser quelque encyclopédie dans le but évident d'étancher ma soif de savoir. Et ma gentillesse légendaire m'enjoint à vous faire part du résultat de ces recherches, d'où le présent billet. Tadaa(6) !

Or donc en ce temps-là !… euh… non. Reprenons…

La douleur du petit orteil, à quoi qu'est-ce dû ? Eh bien à de multiples facteurs, tant physiques que biologiques. Et je m'en vais vous en faire une liste aux petits oignons.

Tout d'abord, nos extrémités ont plus de terminaisons nerveuses que le reste du corps, ce qui explique qu'il est plus douloureux de se cogner le p'tit doigt que la cuisse. Mais ce n'est pas tout. Nos orteils ne sont pas recouverts d'importantes couches graisseuses ou musculaires, mettant ainsi à la merci du premier coin venu les capteurs de douleurs de nos petons.

« C'est bien joli tout ça, me dirait vous, mais pourquoi est-ce au niveau des orteils que la douleur est la plus aiguë ? »

Passons, pour répondre à cette question, dans le domaine de la physique et parlons vitesse. Comme vous le savez tous, la vitesse linéaire de rotation d'un point d'une poutre en mouvement autour d'un axe augmente avec l'éloignement dudit axe(7).

La preuve !

Si on assimile la jambe à un bâton qui tourne autour du bassin(8), c'est bien l'extrémité la plus éloignée du bassin, donc le pied, qui va le plus vite. Ajoutez donc cette vitesse à l'absence de protection adipeuse du petit orteil, et admirez le choc.

'a fait mal, hein ?

« Oui, certes, mais pourquoi l'évolution n'a pas protégé nos pieds ? »

Ben justement, il est possible que ce soit notre évolution qui ait conçu quelque grief à l'encontre de nos petons. Non, j'déconne. L'évolution est bienveillante. Et c'est d'ailleurs pour cela qu'elle nous aurait rendus plus sensibles des orteils afin de nous préserver. En effet, nos ancêtres, pieds nus(9) étaient la proie des bactéries et autres vilaines choses du sol, le spectre de l'infection toujours présent à la moindre blessure ouverte aux orteils, et la faucheuse hilare qui affûte sa faux… Il est donc possible que les douleurs fulgurantes des interactions matinales entre nos pieds et le mobilier soient une mise en garde de Mère Nature, nous enjoignant à protéger nos pieds et ainsi notre vie !

« Comme c'est intéressant ! Mais pourquoi le “petit” orteil ? »

Certainement pour nous faire chier.


  1. (1)
    — En fait, elle me plaît bien cette accroche.
    — De quoi ?
    — L'accroche. Son machin versifié.
    — Ah ! Ouais, c'est vrai, c'est pas mal, au final.
    — Ça donne un cachet. Un signe distinctif.
    — Ouais…
    — Y s'foule pas, hein ?
    — Non.
    — On s'en jette un ?
    — Whisky ?
    — Good man !

  2. (2) Ce qui est rare un jeudi.
  3. (3) Celui-ci se rebellant à l'idée de faire quoi que ce soit de productif en ce jour sacré. (Oui, je suis né un dimanche.)
  4. (4) Bien que cette tromperie me vaudra moult larmes de sa part dès qu'il en fera la découverte.
  5. (5) Qui est un fieffé enquiquineur, et je suis poli.
  6. (6) D'aucuns m'objecteront que j'eusse pu raccourcir l'introduction. Certes. J'eusse pu.
  7. (7) Je pense que c'est du niveau 3ème.
  8. (8) Ou encore à deux poutres successives, toutes deux en rotation, ce qui est encore pire.
  9. (9) Je dis “nos ancêtres”, mais c'est pour l'universalité du propos, vous vous doutez bien que la noblesse de mon arbre généalogique remonte au temps où vos aïeux tannaient les peaux de mammouths pour les miens.