La punition est-elle plus efficace que la récompense ?
La carotte ou le bâton ?
Bien sûr ! J'ai connu un recruteur dans l'armée qui avait procédé à l'expérience suivante pour s'en convaincre.
Il a mesuré les performances d'un groupe au cours d'un exercice de tir. Puis il a sélectionné les dix meilleurs pour venir les féliciter personnellement. Bien sûr, il a aussi repéré les dix moins bons pour leur infliger une soufflante magistrale dont il a le secret. Le résultat est sans appel : au cours d'une nouvelle séance, ceux qui avaient reçu la punition ont obtenu des résultats significativement meilleurs alors que ceux qui avaient reçu les félicitations ont carrément obtenu des résultats moins bons. Preuve s'il en est que la punition est définitivement plus efficace que la récompense. Évidemment, l'expérience a été reproduite et vous pouvez même le faire vous-même dès l'instant que vous disposez d'un groupe suffisamment nombreux de personnes pour réaliser une épreuve.
On peut facilement trouver un grand nombre d'explications à ce phénomène. Par exemple, les félicités se sont trop reposés sur leurs lauriers en croyant être suffisamment doués. Ou alors ils ont mal géré la pression d'avoir à reproduire un résultat exceptionnellement bon. De l'autre côté, les punis ont eu l'électrochoc qu'il leur fallait. Ils ont su retirer le meilleur de l'émulation pour s'élever. Ou bien encore ayant reçu une humiliation magistrale, ils n'avaient plus rien à perdre et ont pu tout donner lors de la seconde épreuve.
Malheureusement, même si ces résultats sont fiables, la conclusion est fausse.
Est-ce que vous avez noté l'erreur commise par le recruteur pour son expérience ? Il a oublié d'utiliser un groupe de contrôle ! S'il avait également enregistré les résultats d'un groupe pour lequel il n'a ni félicité ni enguirlandé personne, il aurait trouvé des résultats similaires lors de la seconde épreuve. En effet, ce phénomène est parfaitement normal et porte le nom de retour à la moyenne.
Cet effet survient dans toutes les activités qui présentent au moins une part de hasard comme c'est le cas d'une épreuve de tir. Dans ce genre d'activité, les résultats extrêmes sont, de fait, exceptionnels et ont donc tendance à se normaliser par la suite. Ainsi, un résultat exceptionnellement bon a tendance à se dégrader et inversement pour un résultat particulièrement mauvais. Les résultats de l'expérience ont donc très peu de valeur puisqu'ils permettent tout au plus de déterminer la part de talent (vue comme la corrélation des résultats d'une personne) et de hasard dans les résultats de l'épreuve de tir. En tout cas, rien qui concerne la comparaison entre la punition et la récompense.
Pour ce qui est de l'effet de la punition et de la récompense, on ne sait pas laquelle est le plus efficace dans le cas général(1) et la réponse à la question importe peu. En effet, ce qui est sûr, c'est que l'une et l'autre sont à leur tour les choix de prédilection en fonction de la situation et des personnalités. C'est un peu décevant mais c'est aussi ce qui fait tout le charme.
Pour aller plus loin, vous pourrez remarquer à quel point il est aisé de trouver des explications causales à ce genre de phénomène une fois les résultats obtenus. Même en connaissant le phénomène de retour à la moyenne, il reste très difficile de s'extraire de cette habitude typiquement humaine. Regardez par exemple les commentateurs sportifs aux épreuves des Jeux Olympiques de saut à ski. Vous aurez immanquablement des références au saut précédent pour expliquer comment il a influencé la performance actuelle. Pourtant, le phénomène de retour à la moyenne est fondamentalement non causal. Il n'a pas d'autre explication que la nature même du hasard. Pour s'en convaincre, il suffit d'inverser la direction du temps et de considérer la seconde épreuve avant la première. Vous observerez alors toujours le phénomène de retour à la moyenne.
- (1) ↑ Probablement plutôt la récompense.