Lorsqu'au collège ma main armée d'un compas traçait un cercle au contour incertain, mon professeur de mathématiques de l'époque saluait toujours ma contre-performance en me décochant une épigramme vipérine :
« Vous êtes une gauchère gauche » disait-il, non sans une pointe d'aménité cependant, car c'était moins chez lui cruauté qu'impossibilité de renoncer au plaisir d'un mot d'esprit, quand bien même il s'exercerait aux dépens d'autrui. Et, en effet, les mots de la droite et de la gauche, où se superposent plusieurs niveaux de signification, sont des prises de choix pour des jeux de mots faciles.

Jusqu'au XVe siècle, la langue française, en lieu et place de droite et de gauche utilise les mots destre et senestre(1), issus du latin dextera (manus) et sinistra (manus). Si destre et senestre disparaissent par la suite, certains termes encore en usage témoignent de cette ancienne étymologie : dextérité, par exemple, mais aussi, de manière plus marginale, destrier  : la monture du chevalier est ainsi nommée car elle est tenue de la main droite par l'écuyer. Le français moderne a conservé également l'adjectif sinistre. Désormais synonyme de funeste, malheureux, seule l'histoire du mot nous rappelle aujourd'hui qu'il désignait à l'origine une latéralité. Dans la langue latine (mais c'est le cas, plus généralement, dans toutes les langues indo-européennes), le côté gauche était considéré comme le moins favorable, notamment lorsqu'il s'agissait pour les augures de donner un sens aux présages (en essayant d'interpréter par exemple les vols d'oiseaux).

Pour des raisons apparemment indéterminées, après le XVe siècle, le français substituera droite et gauche à destre et senestre. Droit est issu du latin directus (qui signifie non courbe, comme on parle en mathématiques d'un angle droit). Gauche, quant à lui, a une étymologie discutée : il est dérivé pour certains d'un verbe d'origine germanique signifiant tordre, vaciller, dévier : d'autres, au contraire, récusent cette hypothèse, bref, cela paraît incertain et compliqué. Les connotations liées à chaque mot restent assez polarisées : on associe au côté droit l'adresse et la rectitude et au côté gauche le manque d'habileté. C'est ce rapprochement qui rend encore possible le jeu sur les différents sens du mot gauche. Mais, depuis que dans les faits les gauchers ont cessé d'être contrariés, la moquerie reste sans conséquence et peut être appréciée sans arrière-pensée.


  1. (1) D'ailleurs, l'italien, resté plus proche du latin, a quant à lui gardé destra et sinistra.